Thierry Gatines est intervenant à l’ISG et l’ISEG Bordeaux. Il est l’auteur d’un ouvrage sur l’économie des seniors, tiré de sa thèse en sciences économiques, soutenue l’année dernière et fruit de plusieurs années de recherches en France et à l’international. Il analyse les conditions nécessaires à son développement encore trop timide dans l’Hexagone.
Qu’est-ce que la Silver économie ?
La Silver économie, ou économie des séniors, est une réponse au vieillissement de la population et à l’augmentation de notre espérance de vie. Cette « économie des cheveux blancs », transversale et multisectorielle, est un phénomène mondial qui a émergé dans les années 2000. En France, elle a été officiellement lancée en 2013, par Arnaud Montebourg et Michèle Delaunay, alors respectivement ministre de l’Économie et ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie. À l’époque, la Silver économie était vendue comme un eldorado avec de nombreuses opportunités pour les entreprises. Ce qui est le cas dans un certain nombre de pays, mais pas en France où, sept ans plus tard, elle végète et ne démarre pas vraiment.
Quels sont les pays les plus en pointe sur le sujet ?
Principalement les pays asiatiques, comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Les États-Unis et le Canada aussi. En Europe, principalement les pays nordiques et scandinaves qui ont bien souvent un temps d’avance sur nous en termes d’esprit.
La nécessité d’un changement de paradigme, plus largement d’un changement de logiciel.
Quels sont les conclusions de votre analyse, menée pendant cinq années à travers le monde ?
Cette analyse, qui a duré cinq années dans 17 pays m’a permis d’exploiter près de 1 200 sources, la plupart issues du monde académique. Ma conclusion principale est la nécessité d’un changement de paradigme, plus largement d’un changement de logiciel. En 2013, le gouvernement a simplement lancé une politique structurelle industrielle. Or, le vrai enjeu en France est de changer le regard porté sur les personnes âgées. Comme tous les pays latins, il y a une espèce de bashing et une mise à l’écart des seniors, en considérant qu’ils sont une charge pour eux-mêmes, la famille et l’État. Qu’ils coûtent chers. Alors qu’en 2013, le gouvernement avait recensé six points de blocage, j’en ai relevé 47 ! En effet, il y a plein de choses à faire sur le plan industriel, mais aussi d’un point de vue sociologique, psychologique ou encore anthropologique – ça ne peut se limiter pas à un seul pan.
Dans le monde professionnel actuel, on devient senior de plus en plus jeune…
Cela va très vite. En entreprise, vous êtes désormais considéré comme un senior à 45 ans. Au Japon, les personnes âges (dont de nombreux quasi-centenaires) sont recherchées pour leur vécu et leur expérience pour des missions de médiation, afin qu’ils apportent un peu de sagesse, dans les affaires ou les relations publiques. Les Japonais savent se servir de leurs qualités. Nous devons changer notre représentation, y compris d’un point de vue marketing. Nous vieillissions tous, même si on reste jeunes dans nos têtes !
En France, que devons-nous faire ?
Le sujet est seulement partagé entre le ministère de l’Économie et celui de la Solidarité et de la Santé. On a scindé Silver économie d’un côté et politique de la vieillesse, de l’autre. Or, les pays qui affichent les meilleurs résultats sont ceux qui ont globalisé leur approche, en traitant les deux sujets à la fois, au sein d’une structure ministérielle élargie avec un organe de coordination. Assez étrangement, la coordination du développement a été confiée à une association, la Silver Valley, avec une interministérialité très courte, qu’il faut élargir et coordonner, pour la dynamiser. Il faut envisager les choses différemment, et surtout que l’on change notre regard. Ce n’est pas parce qu’on est âgé, que l’on n’est pas innovant.
J’ai fait un parcours « à l’envers », en commençant par la fin : j’ai débuté mes études à 45 ans, après un parcours d’autodidacte dans l’industrie, de la base à la direction générale.
C’est justement ce que montre votre parcours.
J’ai 54 ans, je viens de soutenir ma thèse en économie dont est tiré le livre et je suis en train de monter une société. J’ai effectivement fait un parcours « à l’envers », en commençant par la fin : j’ai débuté mes études à 45 ans, après un parcours d’autodidacte dans l’industrie, de la base à la direction générale. Lorsque j’occupais des fonctions de PDG, j’ai été challengé par un collaborateur me faisant remarquer que je n’avais pas de diplôme. J’ai relevé le défi en passant mon bac à 47 ans, puis mon doctorat à 54 ans, tout en continuant à travailler. Je ne me sens pas vieux et, aujourd’hui, nous sommes de vieux branchés, tout le temps connectés. Nous vivons avec notre époque !
►Transformer la silver économie en gold économie : les clefs de développement d’une économie des Séniors, une approche institutionnaliste et évolutionniste de Thierry Gatines (Éditions 7)