Les biotechnologies débarquent dans vos assiettes

Vous ne le savez peut-être pas, mais les Biotechnologies sont déjà dans votre frigo et cela ne date pas d’hier. Vos yaourts ? Des Biotech. Votre jus sur-vitaminé ? Des Biotech aussi. Mieux encore : certaines techniques millénaires et encore utilisées aujourd’hui comme la fermentation correspondent à ce que sont les Biotechnologies aujourd’hui, sauf qu’on ne les nommaient pas encore ainsi. Et à en croire le nombre de nouveaux projets innovants promis à révolutionner le secteur de l’agroalimentaire et de la nutrition, cette histoire des Biotech dans nos assiettes n’est pas près de s’arrêter. C’est pour cela que Sup’Biotech a invité plusieurs experts le mardi 29 mars 2022 à l’occasion de sa nouvelle conférence interprofessionnelle. Un événement qui a, forcément, rassasié les curieux, à commencer par les étudiants.

Pour bien commencer cette conférence, il était conseillé de se regarder le nombril. Pas par vanité, mais pour aborder ce qui se trame à l’intérieur de nos intestins. En effet, près de 50 000 milliards de bactéries y cohabitent : c’est ce qu’on appelle le microbiote. Un sujet qui referme une foultitude de secrets prompts à changer l’alimentation de demain et passionne de nombreux chercheurs, à commencer par ceux de MetaGenoPolis. Ce centre de recherche de l’INRAE travaille depuis 2012 sur un projet dantesque : analyser le microbiote pour comprendre à quoi servent justement ces petites bestioles en nous. Un projet qui rappelle forcément celui du séquençage du génome humain, qui a duré près de 15 ans, comme l’explique justement Alexandre Cavezza, docteur en chimie organique et directeur du MetaGenoPolis : « Ce microbiote serait l’équivalent d’un second génome humain à élucider. Notre but est celui d’un démonstrateur préindustriel : nous devons démontrer la viabilité de nos découvertes avant la prise en charge par un industriel. Nous transformons nos connaissances fondamentales du microbiote pour des applications en santé et en nutrition. »

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Vanessa Proux, directrice générale de Sup’Biotech
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La journaliste Anne Pezet animait les échanges lors de cette conférence

Tous en selle !

Beaucoup de facteurs influent directement sur notre microbiote : votre consommation (on estime que l’apport journalier idéal serait de 30 g de fibres, à partir de légumes, légumineuses et fruits à coque, notamment), votre mode de vie (sport, cigarettes…), l’usage d’antibiotiques… Dès lors, l’analyser peut donner énormément d’indices sur vous et votre santé. « Nous travaillons justement avec l’INSERM, l’Institut Pasteur et les hôpitaux de Paris pour essayer de corréler les maladies avec l’état de ce microbiote, détaille Alexandre Cavezza. D’ailleurs, certaines formes de diabète, d’autisme et d’obésité, comme les maladies de Crohn, Parkinson et Alzheimer sont liées à ce qu’on a dans les intestins ! » Également en relation avec des sociétés et organismes en lien avec l’alimentation, MetaGenoPolis utilise donc les Biotechnologies avec l’espoir d’inspirer une alimentation plus saine et personnalisée, capable d’avoir un impact direct et positif sur la santé, en gardant en tête une dimension éthique. Et pour avancer dans ses travaux, la structure de recherche s’apprête même à lancer une campagne un peu particulière dans les mois à venir. Nommée « French Gut » et développée depuis deux ans, elle aura vocation à « collecter 100 000 échantillons de selles auprès d’autant de volontaires français » pour « cartographier et mieux comprendre » l’hétérogénéité des microbiotes intestinaux sains français, les facteurs environnementaux et de mode de vie les impactant, ainsi que leurs déviations dans les maladies chroniques. Une preuve de plus que les chercheurs n’ont pas peur de mettre les mains dans le cambouis. Et l’occasion de rappeler que le professeur Harry Sokol de l’AP-HP « pratique déjà la transplantation fécale permettant au patient de se purger grâce à l’implémentation d’un contenu intestinal d’une personne en bonne santé ».

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Alexandre Cavezza
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Le goût de l’innovation

Une autre innovation majeure de l’alimentation tourne autour de la fermentation. Évidemment, le procédé n’est pas nouveau – en France, historiquement, il sert pour la production de fromage, de la bière, des yaourts et même de la choucroute –, mais il connaît depuis plusieurs années un regain d’intérêt majeur grâce aux nouvelles technologies et à des acteurs comme l’Atelier du fruit où travaille justement Clémence Carbonel. Ingénieure agroalimentaire de formation, cette project development manager passe ses journées à « appliquer la fermentation sur des matrices végétales » (fruits, légumes, fruits à coque, légumineuses) avec trois axes en tête : la modulation du goût, l’amélioration de la qualité nutritionnelle et la bio-préservation. « Pour cela, nous sommes une petite dizaine de personnes, toutes avec un profil technique et spécialisées sur la partie fermentation, précise la professionnelle. Nous travaillons auprès de clients du monde agroalimentaire, grands groupes comme startups, sur leurs besoins, en faisant ensuite des essais en laboratoire pour voir quel procédé de fermentation mettre en place afin d’y répondre. » Sans laboratoire propre (l’entreprise a passé des contrats de collaboration avec trois centres de recherche – l’INRAE d’Avignon, le Cirad de Montpellier et AgroSup à Dijon – afin de pouvoir y mener ses expériences), l’Atelier du fruit fait beaucoup de R&D dans l’espoir de pouvoir lancer dès cette année « des solutions avec des ingrédients fermentés prêtes à l’emploi pour les industriels ».

Aux yeux de Clémence Carbonel, qui organise aussi régulièrement des ateliers pour sensibiliser à la fermentation (« pour montrer aux maraîchers comment valoriser leurs déchets par ce procédé, par exemple »), l’utilisation de bactéries lactiques, de levures et de moisissures est une grande source de plus-value pour les acteurs de l’alimentaire, permettant l’amélioration de la digestibilité, la réduction du sucre comme du sel, la production d’acides gras polyinsaturés, la réductions de composants indésirables ou encore la découverte de nouvelles saveurs. Une vision partagée par Romain El Andaloussi, co-référent de la mineure Agroalimentaire de Sup’Biotech et responsable du Laboratoire des Biotechnologies Culinaires inauguré fin 2021. Son but ? Développer et démocratiser les projets liés aux Biotechnologies dans l’agroalimentaire et au-delà. « Nous voulons aussi nous orienter vers le culinaire et la gastronomie, en travaillant avec des chefs comme des entreprises », précise le responsable qui accompagne également les étudiants de l’école impliqués dans Ecotrophelia, le très prestigieux concours d’innovation alimentaire pour les futurs ingénieurs.

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Clémence Carbonel
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Romain El Andaloussi

L’agriculture cellulaire, un nouvel eldorado ?

Derrière les questions liées à cette nouvelle alimentation renforcée par les Biotechnologies se cachent aussi celles portant sur la sauvegarde de la planète et le bien-être animal. C’est même cela qui encourage de nombreuses startups françaises et étrangères à s’intéresser à l’agriculture cellulaire. « Le challenge est majeur, annonce ainsi Claude Rescan, scientifique au sein de Vital Meat, une jeune entreprise qui s’attèle à la conception d’une viande de poulet sans élever de poulet, uniquement à partir de la culture de cellules. Nous serons 9 milliards d’habitants d’ici trente ans, entraînant une consommation de viandes de 450 millions de tonnes annuelles en 2050, soit une hausse de plus de 50 % par rapport à 2010. Rappelons aussi que 70 % de la surface de la Terre est utilisée aujourd’hui pour l’élevage, ce qui représente 15 % de l’effet de serre, sans parler des déchets associés ni des conséquences sanitaires, avec la résistance aux antibiotiques et les possibles pandémies. » La démarche de Vital Meat et, plus généralement, de l’agriculture cellulaire autour de la viande fait écho à celle des systèmes hydroponiques pour les plantes. « Comme pour eux, nous misons sur un environnement mieux contrôlé qui, associé à des solutions nutritives, permet d’apporter la quantité nécessaire à la croissance. Pour nous l’idée, ce n’est pas de faire une protéine alternative mais bien d’utiliser de meilleurs moyens pour produire la même protéine ! »

En créant sa viande d’un genre nouveau, la start-up nantaise s’affranchit de nombreuses contraintes inhérentes à l’élevage intensif classique (pas d’utilisation d’antibiotiques, réduction des gaz à effet de serre et de la consommation d’eau, peu de surface terrestre nécessaire, non traitement des déchets – pas d’animal abattu, pas de carcasse –, baisse des coûts de transports…). « Chez Vital Meat, on croit énormément dans la capacité de nos lignées cellulaires car nous travaillons dessus depuis 10 ans : c’est un processus d’obtention des cellules breveté, assure Claude Rescan. On n’a plus besoin de biopsie animale ! D’ailleurs, l’animal n’est plus impliqué et notre milieu de culture n’a aucun élément d’origine animal. » Aujourd’hui, l’entreprise travaille à la structure de son produit car, si son goût est bien celui d’un poulet, son apparence reste pour le moment celle « d’une sorte de crème dessert ». « On travaille dessus, avec des acteurs majeurs de l’agroalimentaire, pour apporter cette structure, en imaginant un produit hybride de viande cellulaire associé à des protéines végétales », assure l’intéressé qui, avec ses collaborations, a pu développer des nuggets et accras plus vrais que nature. Reste que l’aspect physique n’est pas le seul défi qui attend Vital Meat et ses concurrents : la réglementation est une autre étape majeure. « L’aspect réglementaire est essentiel : il faut pouvoir obtenir des autorisations de mises sur le marché. En Europe, cela se fait auprès de l’EFSA : nous devons démontrer que le produit est sain, sûr et qu’il ne trompe pas le consommateur. Comme il s’agit d’un produit nouveau, nous avons tout à mettre en place : on part d’une feuille blanche ! » Ce besoin de communication et d’organisation amène logiquement les acteurs de l’agriculture cellulaire à se fédérer, comme avec la création d’un syndicat européen dédié en 2021. Un signe annonciateur et positif pour le futur dans nos assiettes.

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Claude Rescan
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Des trouvailles à la pelle

Fédérer, c’est justement l’un des rôles de Kevin Camphuis, cofondateur de l’accélérateur ShakeUp Factory spécialisé dans l’innovation en FoodTech et grand témoin de cette conférence. Cet ancien inventeur ayant fait ses armes chez Seb (on lui doit, entre autres, la création d’appareils aussi connus que Cookeo, Companion et Actifry) a décidé de changer de vie pour faire grandir les « pionniers de l’alimentation de demain ». Installé à Station F, son accélérateur accompagne depuis des startups du monde entier pour le développement de leurs activités ainsi que des industriels en recherche de startups complémentaires, essentiellement dans l’alimentaire. Une mission aussi stimulante qu’incontournable dans un monde qui n’a jamais semblé si fragile : « Nous sommes face à plusieurs problèmes car nous sommes trop nombreux sur Terre, nous mangeons trop et, surtout, nous arrivons à la limite de ce que la planète est capable de produire ! À cela s’ajoute la crise environnementale – l’élevage animal dans le monde entier pèse plus lourd que tous les transports réunis ! Et alors que nous les avions optimisés au maximum avec les Biotechnologies, on risque désormais de voir les niveaux de rendements baisser pour revenir à ce qu’ils étaient il y a 50 ans. On va donc tous avoir faim… sauf si on trouve des solutions ! Notre système alimentaire doit changer. » Heureusement, les scientifiques et les entrepreneurs n’ont pas attendu le dernier rapport du GIEC pour entamer ce changement incontournable.

En effet, dans la foulée du biochimiste britannique (et futur double Prix Novel) Frederick Sanger qui, dans les années 1950, révolutionna le monde en réussissant à synthétiser l’insuline, nombreux sont les pionniers à avoir déjà amorcé cette révolution dixit Kevin Camphuis. Initiée en 2011, l’entreprise américaine Impossible Foods de Patrick Brown a, ainsi, déjà réussi à produire des steacks végétariens via « l’extrusion et l’utilisation du liquide présent dans les racines du soja qui reproduit l’aspect et le gout de l’hémoglobine ». En 2013, le hollandais Mark Post de l’université de Maastricht a utilisé un brevet sur la peau humaine en synthèse issu de Genentech (une entreprise créée à Stanford et qui a permis, entre autres, de rendre possible la production de la totalité de l’insuline mondiale uniquement par fermentation) afin de « mettre au point le premier steak cellulaire in-vitro ».  En 2014, les chercheurs Ryan Pandya et Perumal Gandhi se sont associés au cancérologue Tim Geistlinger pour fonder Perfect Day et « inventer la caséine synthétique » permettant de reproduire du lait sans animaux, uniquement par le biais de la fermentation : « leur premier lait 100 % synthétique arrivera sur le marché cette année ». Avec Every démarré en 2015, Arturo Elizondo a créé une entreprise leader dans la création des « premières protéines alternatives d’œuf ». Fondée en 2017, la société Brightseed travaille à modéliser les ingrédients, « décryptant la capacité de chacun des composants à pouvoir se combiner entre eux ». Tout cela n’est qu’un aperçu des milliers de projets de Biotechnologies alimentaires actuellement menés aux quatre coins du globe (même si les États-Unis, l’Asie du Sud Est, Israël et l’Europe sont les plus en pointe). Des chantiers aussi faramineux qu’excitants qui devront cependant pouvoir compter sur la prise de conscience des dirigeants politiques sans qui rien ne sera possible, à l’image de Singapour « qui est devenue la première nation à approuver la viande cellulaire pour la consommation humaine ». La balle est donc maintenant dans le camp des décideurs français !

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Kevin Camphuis
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