« Pour le retour à des régions authentiques »

Jean-Philippe Atzenhoffer enseigne les mathématiques et la finance à l’ISG Strasbourg depuis plus d’une dizaine d’années. S’appuyant sur l’exemple du Grand Est et à l’aide d’études, il signe un ouvrage démontrant que la réforme des régions de 2016 est un échec, aussi bien économiquement que politiquement, débouchant sur une situation « aberrante ».

Depuis le 1er janvier 2016, la France connaît un nouveau découpage de ses régions. Quel regard portez-vous sur cette réforme ?
Cette réforme, instaurée sous le mandat de François Hollande, a créé d’immenses régions au prétexte qu’il fallait faire des économies : avec des régions plus grandes cela permettait de supprimer certains centres administratifs. Mais en réalité, elle s’est faite sans évaluation. Or, dans la recherche économique et géographique, rien n’indique qu’en faisant des collectivités plus grandes elles deviennent plus efficaces. Si dès le départ cette fusion de régions a laissé tout le monde perplexe, la Cour des Comptes a confirmé les craintes en montrant qu’il n’y avait pas eu d’économie, bien au contraire. À ce moment-là, j’ai eu envie de dresser un bilan systématique de cette réforme. Et pas uniquement sur le plan financier, mais aussi en termes d’organisation. Finalement, rien n’a été simplifié, on a créé de grandes bureaucraties complexes et la réforme a donné exactement l’inverse de ce qui était recherché. Cela s’est illustré lors de la crise sanitaire, lorsque l’État ne savait pas s’il fallait régionaliser ou départementaliser les confinements. Tous ces découpages font que nous sommes perdus dans un système de décentralisation qui ne fonctionne pas. Au lieu de corriger les problèmes, on les a sans doute aggravés avec ces mégastructures. Les politiques régionales sont désormais faites à grande échelle et on ne voit pas leur efficacité. En me basant sur l’exemple du Grand Est, je développe une critique de la décentralisation à la française. On retrouve les mêmes problèmes dans les autres périmètres démesurés comme la Nouvelle Aquitaine ou l’Occitanie.

Qu’est-ce que cette réforme révèle sur la manière dont la France est organisée et gouvernée ?
Notre pays a gardé un fonctionnement très centralisé. Même si on a gardé un très grand nombre de communes par rapport à d’autres pays, elles sont corsetées par le contrôle opéré par les préfectures ou les services de l’État. On décentralise la France, mais de la mauvaise manière en empilant les couches administratives, comme un millefeuille : communes, intercommunalités, pôles d’équilibre territorial et rural (PETR), départements, régions… C’est un système très complexe dans lequel on saupoudre un peu de compétences par-ci et par-là, sans logique d’ensemble. Tout cela fait perdre beaucoup de temps, d’argent et d’énergie. Si l’on voulait régionaliser correctement le pays, il aurait fallu garder des régions à taille humaine, ce qui aurait permis de supprimer l’échelon départemental pour alléger le millefeuille, conformément au projet initial du gouvernement. Mais avec les régions immenses, c’est devenu impossible.

Quand on est attachés à un territoire authentique, c’est générateur de confiance.

Surtout que ce nouveau découpage peut donner le sentiment aux habitants des régions d’être en partie dépossédés de leur territoire.
Oui, exactement. Si l’on veut favoriser le développement des territoires, il faut que les gens se reconnaissent dans leurs institutions et leurs régions. Quand on impose des mégastructures, les gens sont perdus. L’illustration la plus frappante est celle des ligues sportives. On demande à des bénévoles de se déplacer dans un rayon de 200 ou 300 km, voire plus ! Cela ne donne plus l’envie de mener des projets, avec le risque de créer une passivité citoyenne. On impose des carcans qui ne correspondent pas au vrai bassin de vie des gens. Au-delà de la taille, ces régions sont incohérentes car elles n’ont aucun substrat histoire, culturel ou géographique. Elles génèrent de la défiance, alors que quand on est attachés à un territoire authentique, c’est générateur de confiance. En France, nous vivons dans une défiance généralisée, envers l’État, mais aussi entre les citoyens. On l’a vu avec les Gilets Jaunes et la crise sanitaire. L’éloignement du terrain par des collectivités immenses renforce ce sentiment très négatif.

Comment tout cela va évoluer ?
Il y a pour le moment des discussions autour du projet de loi « 4D » (projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale). Mais celle-ci est une réforme peu ambitieuse, qui ne règlera pas les problèmes de fond. Avec la crise sanitaire, et ses défaillances de gestion qui ont mis à jour les problèmes de l’organisation territoriale, les pouvoirs publics seront amenés à faire une réforme.

Y’a-t-il des pays dont on pourrait s’inspirer pour réformer ?
Oui, mais il n’existe pas de modèle unique. Le modèle fédéral de l’Allemagne donne les mêmes prérogatives à tous les Länder, mais avec ces responsabilités et les pouvoirs qui leur sont conférés, ils s’organisent chacun différemment. Les systèmes italiens ou espagnols ont des institutions différentes selon les régions, adaptées à leurs spécificités propres. Ils montrent que l’on peut différencier sans forcément aller jusqu’à un régime fédéral – un système irréaliste pour la France à l’heure actuelle. Nous pourrions très bien garder le principe d’un État unitaire, et différencier les compétences selon les régions, pour mieux valoriser leurs atouts propres.

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