Abdoulkarim Idi Cheffou est professeur associé à l’ISG où il enseigne la finance de marché et d’entreprise. Dans ses recherches, il travaille sur le financement des projets entrepreneuriaux par les réseaux de business angels et les questions de genres au sein de cet univers très masculin. Il vient de cosigner un article qui analyse les critères retenus par les investisseurs en vue d’un financement, de la phase de présélection à la prise de participation.
Comment s’est déroulée votre recherche ?
Pour notre étude, nous nous sommes appuyés sur les activités de Paris Business Angels (PBA), l’un des réseaux d’investisseurs les mieux structurés et les plus importants de France. Quand on est entrepreneur et qu’on souhaite lever des fonds, ce n’est pas simple. Il y a plusieurs étapes à franchir avant d’arriver au fameux pitch. Il faut bien comprendre que tous les porteurs de projets n’arrivent pas nécessairement à ces fameuses « 30 minutes pour convaincre ». La plupart sont éliminés avant ce stade.
Le processus commence par la constitution d’un dossier présentant le projet (innovation, business plan…) et l’équipe. Puis un délégué général, représentant les business angels, fait une première sélection. À la suite de celle-ci, les entrepreneurs sont invités à faire un elevator pitch et convaincre en 5 minutes : ils vont rencontrer un nombre restreint d’investisseurs qui connaissent bien le domaine du projet et sont potentiellement intéressés. S’ils le sont, un ou deux business angels va ensuite instruire le dossier pendant un mois, voire deux. Ils vont essayer de mieux connaître le projet, l’équipe, de tester les prototypes, de se renseigner sur le marché potentiel… À l’issue de cette phase d’instruction, soit le dossier accède au pitch final, soit la collaboration est abandonnée. Avec ma co-auteure, Annie Bellier de CY Cergy Paris Université, nous avons voulu mettre à jour les critères de choix, à l’étape de présélection, puis lors de la séance plénière face à une vingtaine d’investisseurs en moyenne.
L’exigence est de plus en plus forte ; la concurrence est rude.
Quels sont donc ces critères sur lesquels se basent les investisseurs ?
Au niveau de la première phase, il faut nécessairement que le projet soit porté par des entrepreneurs qui possèdent des compétences managériales fortes tout en proposant simultanément un business plan qui paraisse crédible ; deux conditions sine qua non. Pour la seconde phase, les investisseurs vont tout particulièrement regarder l’avantage concurrentiel du projet. À ce stade, on peut dire qu’ils cherchent des projets sortant du lot, qui se démarquent.
Face à la multiplication des projets, ces critères ont-ils évolué ?
L’exigence est de plus en plus forte ; la concurrence est rude. En étudiant les dossiers de PBA, nous nous sommes aperçus qu’ils sont de plus en plus structurés. In fine, seuls 6 à 7 % des projets sont financés, ce qui est très peu. Et dans les pays anglo-saxons et aux États-Unis, la proportion va de 5 à 9 %, ce qui est assez semblable. Contrairement à ce que les jeunes entrepreneurs peuvent penser, ce n’est pas un processus simple, mais très sélectif !
Vous avez également travaillé sur les questions de genre dans ces processus et au sein des projets entrepreneuriaux. Ces univers restent-ils très masculins ?
Oui, « male dominated », à l’exemple des investisseurs du réseau PBA. Nous avons signé un article paru en 2019 dans la revue Management & Avenir sur ces questions de stéréotypes et nous sommes en train de finaliser un nouveau papier, plus abouti,avec comme cible la revue Entrepreneurship Theory and Practice, un journal de référence. Sur la base de la théorie de la menace de stéréotype (stereotype threat theory), nous avons étudié la place des femmes au sein de ces processus. Nous nous sommes aperçus que les porteuses de projets étaient systématiquement rassurées lorsque le jury d’investisseurs comptait au moins une femme dans leur rang : elles réalisent de meilleures présentations. On a également remarqué que les femmes présentaient généralement des projets plus modestes et dans des secteurs « neutres », c’est-à-dire moins stéréotypés comme les services alors que les hommes ont tendance à porter des projets dans des secteurs plus « masculins ». Et du côté des business angels, on a découvert que, comparées aux hommes, les femmes évaluaient plus sévèrement la crédibilité des business plans des projets et manifestaient une plus faible intention d’investissement à travers leur réaction à chaud à la suite des pitchs des entrepreneurs. Ainsi, à la fin de chaque pitch d’entrepreneurs, les femmes investisseuses font face au risque de confirmer le stéréotype de genre selon lequel l’entrepreneuriat est une activité masculine et vont ainsi vouloir éviter à tout prix de paraître incompétentes voire « ridicules » aux yeux des investisseurs hommes présents dans l’audience, en évaluant positivement un business plan qui n’est pas crédible ou en manifestant une intention d’investissement pour un projet qui est mauvais. Cette volonté des femmes investisseuses d’éviter de confirmer le stéréotype de genre selon lequel les hommes sont meilleurs que les femmes dans le domaine de l’entrepreneuriat, les conduit systématiquement à évaluer négativement les business plans des projets présentés ainsi qu’à manifester une plus faible intention d’investissement, comparées à leurs homologues masculins.
- Évolution des critères d’investissement des business angels : de la présélection des projets à l’investissement final d’Abdoulkarim Idi Cheffou et Annie Bellierin Revue Internationale PME (Volume 33)