« Garder une architecture et une solidité pour nos entreprises »

Laurent Pierandrei est enseignant en finance et en gestion des risques à l’ISG. Il est également l’auteur de plusieurs MOOC publiés chez IONISx. Il signe un ouvrage permettant de plonger au cœur de la stratégie et du montage financier de douze grandes entreprises de référence à travers leur analyse pratique.

À la fin des années 2010, les fondamentaux financiers ont été ébranlés… et depuis nous enchaînons les crises.
Oui et depuis, on tente de consolider. Cela a commencé la crise des subprimes de 2008, suivie de la crise de l’Euro et maintenant de celle liée à la Covid ; l’Europe et la France ont besoin d’une industrie financière solide et renforcée, principalement depuis. Dans cette tourmente générale, la Banque centrale européenne (BCE) et l’Union européenne (par ses institutions et ses États membres) vont devoir soutenir davantage l’économie pour maintenir nos entreprises et nos banques en bonne santé, et préserver les emplois et le pouvoir d’achat des ménages. Et tout cela passe grandement par la fonction finance.

Qu’est-ce que l’étude de ces douze grands groupes français vous a appris sur la gestion du risque en l’entreprise ?
On assiste à la montée de nouveaux risques : outre celui lié à la crise sanitaire, on voit la montée en puissance des cyber-risques dans une économie de plus en plus numérisée et des risques géopolitiques liés à la fragmentation du monde, sa démondialisation et l’affrontement Chine-USA. Ainsi, ce sont les modèles économiques qui sont secoués. Sans parler des questions environnementales et la transition énergétique qui peuvent affecter les entreprises. Ces risques sont plus nombreux qu’il y a trois ou quatre ans. Et la fonction finance de l’entreprise doit muter pour s’adapter. En cartographiant ces risques de manière encore plus exhaustive et précise, et en utilisant de nouveaux instruments et mécanismes financiers (couvertures, assurance, garanties et financements). L’autre grande nouveauté est le retour de l’interventionnisme massif de l’État, comme on l’a récemment vu avec les allègements des impôts de production, le plan de relance et les prêts garantis pour les entreprises. L’État est devenu un partenaire aidant davantage les entreprises, bien que nous restions dans une économie libérale, et que cette action publique reste malheureusement sous-dimensionnée (au regard des ressources publiques limitées). Nous faisons encore face à une crise qui devrait être la plus importante parmi toutes celles auxquelles nous avons assisté depuis 1945.

Certaines valorisations boursières ont retrouvé le niveau d’avant crise, d’autres, comme celles des GAFA, les ont même dépassés de manière insolente

Dans votre ouvrage, vous insistez sur l’importance de la confiance dans les marchés financiers. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les marchés ont plutôt bien résisté au début de la crise que nous traversons. Ils ont d’ailleurs été très résilients et ont continué de fonctionner pendant le confinement. Au pic de cette période, en mars-avril, il y a eu une petite panique sur les marchés, qui ont chuté, et les opérations interbancaires se sont arrêtées. Mais cela a très peu duré, une quinzaine de jours. Puis, la BCE a inondé le marché de liquidités et restauré la confiance avec un soutien sans limite : 1 350 milliards d’Euro y seront injectés d’ici la fin de l’année. Certaines valorisations boursières ont retrouvé le niveau d’avant crise, d’autres, comme celles des GAFA, les ont même dépassés de manière insolente. Demain, on pourrait imaginer de nouveaux outils d’innovation financière (obligations et réassurance, comme on le voit sur les catastrophes naturelles) qui permettraient d’absorber les chocs pandémiques.

Quels sont les points communs des douze cas que vous avez étudiés ?
Tous s’appuient sur des fondamentaux financiers des grandes entreprises : la structure de fonds propres, l’endettement, le financement et l’investissement dans les projets rentables pour l’entreprise et profitable à l’économie. Toutes ces entreprises apprennent à faire face aux risques, en s’y adaptant et en développant des instruments de plus en plus pointus pour réduire leur vulnérabilité. Mais on l’a récemment vu avec la pandémie, notamment dans le secteur aéronautique, la construction et l’automobile, les très grandes entreprises, leaders sur leurs marchés, peuvent conserver d’énormes potentiels et avantages liés à leur taille critique, tout en étant extrêmement fragiles.

Les grandes entreprises – contrairement aux plus petites – ont une grande capacité à capter les ressources financières, que ce soit à travers la dette et les aides d’État, ou à se repositionner sur des marchés par des restructurations, des rapprochements et des acquisitions. Mais elles sont comme de grands paquebots : leurs bureaucraties bougent lentement par rapport aux petites entreprises qui peuvent se réinventer beaucoup plus facilement et rapidement.

La crise que nous traversons laisse penser que beaucoup d’entreprises modestes disparaîtront au profit de plus grandes, voire de très grands groupes.
Ce sera sans doute le cas, car les grandes entreprises – contrairement aux plus petites – ont une grande capacité à capter les ressources financières, que ce soit à travers la dette et les aides d’État, ou à se repositionner sur des marchés par des restructurations, des rapprochements et des acquisitions. Mais elles sont comme de grands paquebots : leurs bureaucraties bougent lentement par rapport aux petites entreprises qui peuvent se réinventer beaucoup plus facilement et rapidement. Les grands groupes s’appuient sur des réserves financières beaucoup plus importantes et des ambitions stratégiques fortes – on n’imagine pas un très grand nombre d’entre elles disparaître. Les petites entreprises sont quant à elles dans un écosystème beaucoup plus darwinien. Quoiqu’il en soit, même si leur taille et leur puissance financières diffèrent, toutes les entreprises devront développer, de la même façon, une santé financière (rentabilité, solvabilité, liquidité) robuste pour surmonter la crise.


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