Gildas Lepetit-Castel est un passionné de photographie, de sa conception théorique à sa diffusion en passant par sa réalisation, mais aussi un artiste touche-à-tout qui s’est lancé dans le long métrage. Formateur très actif, il propose des workshops et intervient à e-artsup Lille depuis plus de huit ans. Il est également l’auteur et l’éditeur de nombreux ouvrages, en particulier chez Eyrolles, pour qui il a signé plusieurs guides à succès.
Vous êtes l’auteur de plusieurs livres et guides sur la photo parus chez Eyrolles. En quoi consistent-ils, et plus particulièrement Concevoir son livre de photographie, récemment paru?
Les éditions Eyrolles m’ont contacté en 2010 pour écrire un premier livre sur la conception des ouvrages photo (mise en page, chromie, diffusion…) – un sujet qui m’intéresse beaucoup. C’est ainsi que j’ai commencé à intervenir pour cette maison. En 2015, j’ai ensuite signé un livre sur la photographie de rue, qui a été vendu à plus de 20 000 exemplaires et traduit en plusieurs langues, puis un guide de la photographie argentique mis à jour dans une nouvelle édition, il y a quelques mois. En 2018, j’ai écrit un livre sur l’inspiration en photographie, qui parle de plusieurs arts. Le dernier titre, Concevoir son livre de photographie, s’adresse plus spécifiquement à des graphistes et aux photographes. L’année prochaine, un nouveau titre sortira.
Ces livres sont un prolongement direct de votre activité de formateur et d’enseignant, notamment à e-artsup où vous donnez principalement des cours sur la photographie.
Ce que j’explique dans ces livres se retrouve naturellement dans mes cours, ainsi que dans mes conférences : je parle essentiellement de la maîtrise des outils, mais aussi et surtout de l’importance de trouver les outils qui correspondent à la démarche et aux esthétiques recherchées. Ces guides servent avant tout à améliorer le regard, puis à savoir correctement diffuser son travail, qu’il s’agisse du tirage photo en lui-même, de la mise en page ou de l’impression dans la création de livres ou bien de la scénographie d’une exposition.
Alors que l’une de vos spécialités était la photographie de rue, vous faites désormais des films.
Oui, j’ai beaucoup fait de photographie de rue en Angleterre et en Italie. Maintenant, je suis plus dans un questionnement à travers des photographies plus posées. Mais depuis deux ans, je fais des longs métrages et m’intéresse également à la mise en scène. Cela a commencé en 2019, avec Ma Rencontre, mon premier long métrage, qui a reçu un très bon accueil et de bons papiers. J’en prépare un nouveau pour l’année prochaine. Lorsque mes films sont projetés au cinéma, je joue la bande son en direct et improvise avec ma guitare, en fonction des réactions des spectateurs et de l’ambiance. Ces films sont ainsi voués à muter selon leur diffusion.
J’aime le mélange des techniques et des arts et qu’on sorte de cette tradition française de tout mettre dans des tiroirs, qui nous met systématiquement dans une case.
Photographe, réalisateur, éditeur, musicien… Vous ne vous perdez jamais dans toutes ces disciplines ?
Non, absolument pas ! Et on ne parle pas ici de la partie immergée de l’iceberg ! J’ai des journées très chargées et je ne prends jamais de vacances… Je m’intéresse à beaucoup de choses : j’écris énormément sur la théorie photo, j’ai réalisé une vingtaine de monographies, j’aide beaucoup de gens à éditer leurs ouvrages, je donne de nombreux workshops à travers toute la France, je suis souvent sollicité pour être jury dans des prix photo… Bref, j’ai de quoi m’occuper ! Au fond, ce que j’aime, c’est décloisonner la photo. Je ne suis pas un ayatollah de l’argentique contre le numérique, loin de là, j’aime le mélange des techniques et des arts et qu’on sorte de cette tradition française de tout mettre dans des tiroirs, qui nous met systématiquement dans une case. C’est bien de savoir mélanger les techniques et les outils pour arriver à une identité qui nous est propre, bien singulière.
Vos travaux illustrent également le fait que le contenant est finalement indissociable du contenu…
Oui. J’ai également créé une entité, POP, pour Piece of (Photo) Paper ou Populaire : une fabrique dans laquelle je prends des papiers très périmés de 30, 40 ou 50 ans. Selon leur rendu, je choisis des images qui vont prendre forme et gagner dans leur propos grâce à l’usure du papier. Je propose ensuite ces tirages à la vente ; ce sont des œuvres originales dont aucune n’est semblable. J’aime ainsi approfondir la forme pour qu’elle ne soit pas qu’un bruit de fond mais, qu’au contraire, elle porte complétement l’idée.
Qu’est-ce qui vous plaît dans votre activité d’enseignement à e-artsup ?
Les discussions avec les élèves ! En discutant avec eux, on apprend autant qu’on leur apprend. Ils nous ouvrent des possibles, en nous questionnant, en étant curieux. Leur curiosité nous porte à enrichir les cours. Étant boulimiques, je ne fais jamais deux fois le même cours. Sur deux ou trois heures de cours, je consacre systématiquement 20 minutes à l’actualité : expositions, livres, films… J’ai à chaque fois envie de plonger les étudiants dans l’actualité pour les rendre encore plus curieux. J’aime aussi les questionner sur ce qu’ils voient, ce qu’ils écoutent, ce qui me permet d’apprendre plein de choses. Depuis 20 ans que j’enseigne, j’ai toujours le même plaisir avec cette fraîcheur qui vient des étudiants.
Qu’est-ce qui fait une bonne photo ?
Pas sa beauté… car la plastique ne fait pas tout ! Une bonne photo transmet une émotion et ne laisse pas indifférent. Parfois, une image complétement « bougée » peut avoir du sens et être bonne, comme l’utilisation de la caméra à l’épaule dans le cinéma Nouvelle Vague.
Quelles sont les tendances actuelles ?
Il y a plein de modes, cela évolue tout le temps et on finit toujours par recopier des époques. Il y a quelques années, c’était la mode du Polaroid, ce que propose finalement Instagram : une image carrée et instantanée qu’on partage. Puis il y a eu un regain de la lomography et maintenant on revient vers l’argentique, mais hélas, pas jusqu’au bout de la chaîne : on prend des films qu’on numérise et bien souvent on post-traite un peu trop alors qu’ils ont déjà pas mal de caractère. Ce regain pour l’argentique s’illustre par une nouvelle réédition de mon livre sur le sujet, déjà vendu à plus de 6 000 exemplaires et qui touche un jeune public. Cela montre que plein de jeunes qui démarrent s’intéressent au sujet : il y a un beau mélange entre argentique et numérique !
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’argentique ?
De ne pas aller trop vite ! L’argentique, c’est prendre son temps et jouer le jeu jusqu’au bout. Il faut expérimenter, aller voir différents clubs, se renseigner sur la matière même de l’image. Joël Robuchon disait qu’il fallait d’abord bien connaître les ingrédients avant de les cuisiner. C’est pareil en photo : une image a une identité qu’il ne faut pas massacrer avec Photoshop, mais s’en servir pour mettre en valeur cette identité. Il faut y aller étape par étape. L’ennui avec notre époque, c’est qu’on ne prend plus le temps de se poser : on est passé du disque à YouTube…
● Vous pouvez découvrir certaines photos de Gildas Lepetit-Castel et sa compagne Flore Willefert à l’exposition Speak Low & Rayons de soleil, organisée au Moxy Lille City (rue Jean Bart, 59000 Lille) jusqu’au 4 janvier 2022