Rémi Sussan est un journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies, auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur le sujet. Passionné par les usages numériques et leur impact sur la société et les comportements, il s’intéresse aussi aux mondes virtuels. Alors que Facebook vient de lancer le sien, nous vous proposons de découvrir comment ces métavers se sont développés et pourquoi ils attirent aujourd’hui autant l’attention des médias et des plus grosses sociétés. Face à cet enthousiasme, Rémi Sussan porte un regard plus nuancé en soulevant un certain nombre de questions, philosophiques et épistémologiques. À commencer par celle du sens : qu’allez donc vous faire dans ces métavers ?
Qu’est-ce qu’un métavers ?
C’est un univers virtuel, c’est-à-dire un univers en trois dimensions dans lequel les gens se déplacent à l’aide d’avatars. Dans celui-ci, vous pouvez y faire ce que vous voulez, à la manière du monde réel. Comme y faire différentes activités : travailler, rencontrer des gens, s’amuser… Dans Snow Crash de Neal Stephenson [roman de science-fiction publié en 1992 d’où le terme anglais « metaverse » est tiré], il y avait par exemple une fameuse boîte de nuit, le Black Sun. Et rien n’empêche d’y mettre un jeu en ligne. Mais dans le métavers, il n’y a pas vraiment de règles ni de buts à atteindre : vous y vivez comme vous le voulez ou, en quelque sorte, comme vous vivriez dans un monde réel idéal.
Comment pourrait-on résumer l’histoire de ces univers ?
Dans les années 1980, il y a d’abord eu la réalité virtuelle, un produit de la Nasa. Ensuite, dans les années 1990, on a commencé à parler d’univers et de monde virtuels. En 1994, j’utilisais un programme Rend386, un logiciel inutilisable qui permettait déjà de créer un petit monde virtuel. Puis en 1995, il y a eu la mode du VRML (Virtual Reality Modeling Language), un langage qui permettait à chacun de construire un monde virtuel et l’intégrer à sa page Web. Mais le problème avec le VRML, dans sa version pure, est que vous étiez tout seul dans votre univers. En même temps, ont commencé à apparaître les univers virtuels ludiques, comme Ultima Online et d’autres mondes qui ne se voulaient pas spécialement ludiques, comme Active Worlds ou ce que proposait la société Black Sun (en référence à la boîte de nuit dont on parlait) qui utilisait le VRML en ajoutant une couche serveur pour permettre aux gens de communiquer. Au début des années 2000, une société française, Cryo, avait lancé le Deuxième Monde avec Canal Plus, une reproduction de Paris. Cette première vague s’est ensuite fracassée. Puis est arrivé Second Life, qui n’était pas forcément mieux qu’Active Worlds, mais qui avait introduit l’argent avec le dollar Linden. Il y a alors eu une espèce de ruée dessus car on a pensé qu’un nouvel espace économique extraordinaire venait de naître. Second Life existe toujours, mais plus personne n’y va…
Facebook veut, à son tour, lancer son métavers avec des moyens que personne n’a jamais eus. On peut penser que cela était déjà prévu il y a quelques années.
Pourquoi ce phénomène s’est-il accéléré ces dernières années et plus récemment avec les annonces de Facebook devenu Meta ?
Car, pour la première fois, des casques de réalité virtuelle grand public et corrects sont apparus. Mark Zuckerberg s’est d’ailleurs empressé de mettre la main dessus lorsqu’il a racheté Oculus en 2014 [société qui a véritablement lancé le marché des casques grand public]. Finalement, Facebook veut, à son tour, lancer son métavers avec des moyens que personne n’a jamais eus. On peut penser que cela était déjà prévu il y a quelques années, même si l’annonce est récente. Ce qu’espère Mark Zuckerberg, c’est de créer un métavers centralisé. Je lui souhaite bonne chance !
Pourquoi y croyez-vous si peu ?
D’abord, à cause de la réputation de Facebook. Qu’en serait-il d’un univers entièrement dédié au culte de cette société ? Ensuite, les métavers sont extrêmement consommateurs de ressources. Rien qu’à l’époque de Second Life, en 2007, il fallait un serveur pour 12 personnes connectées… Bien sûr, Facebook a beaucoup plus de moyens, s’en donne de nouveaux chaque année, mais cela est énorme et ne va pas aller sans poser de nombreux problèmes. C’est donc à voir…
Certains observateurs expliquent qu’il s’agit du passage au Web 3.0. Est-ce le cas ?
J’ai effectivement vu que beaucoup utilisaient cette expression à propos du métavers de Facebook. Mais je dirais que ce projet de Facebook est plutôt l’inverse ! Puisqu’au cœur de cette expression très à la mode, il y a l’idée d’une redécentralisation d’Internet. Est-ce revenir à cette vision avec un opérateur unique et monopolistique est l’avenir du Web ? Peut-être a-t-il raison sur le plan économique, mais faut-il aller dans cette direction ? Je ne sais pas. Si ce métavers était décentralisé, alors oui on pourrait parler de Web 3.0.
Quels sont les buts de ces univers ?
Ça a toujours été un peu flou et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils se sont cassés la figure. En 1995, Active Worlds n’avait pas vraiment de but, c’était surtout une startup qui voulait expérimenter. Second Life voulait quant à lui inventer une économie, avec des annonceurs qui avaient parié sur le boom économique du virtuel. Facebook espère cela à nouveau, en traçant bien mieux les utilisateurs et en monétisant leurs comportements, dans un monde plus virtuel qu’aujourd’hui. À terme, il y introduira certainement son économie et sa monnaie. La plupart de ces univers misent sur la monétisation, à un moment ou à un autre. Cela me rappelle ce qu’expliquait Raph Koster, l’un des créateurs d’Ultima Online, l’un des tout premiers MMORPG, qui avait lancé sa propre startup de métavers, effondrée quelques mois après. Il disait à l’époque que tout ce qu’on peut faire dans un métavers, on peut le faire en mieux dans Facebook. L’explosion de réseaux sociaux a ainsi mis fin à Second Life. D’autant plus qu’ils proposent des choses que les métavers ne font pas, comme l’asynchronicité : nous ne sommes pas obligés d’êtres tous connectés pour communiquer. Raph Koster finit par dire que le seul intérêt des univers 3D est de pouvoir vivre sous une autre identité et une autre forme, comme seul le jeu le propose. Cela rejoint les travaux de l’économiste Edward Castronova sur Second Life qui consistaient à savoir si ce métavers était un nouvel eldorado ou une arnaque. Sa conclusion était que Second Life représentait en réalité l’économie d’une petite ville. À des fins académiques et universitaires, il avait créé un univers virtuel tiré de Shakespeare pour y étudier les interactions économiques et en était arrivé à la conclusion qu’il fallait des monstres pour attirer des utilisateurs.
Est-ce vraiment intéressant de passer par toute cette technologie d’avatars pour faire ce qui existe déjà en ligne ? Ça peut, mais il faudra vraiment trouver la killer application des univers virtuels, ce qui n’est vraiment pas évident. En ligne, il y a aujourd’hui un choix très important.
Justement, Facebook, Microsoft, Carrefour ou encore Nike pour ne citer qu’elles, s’y lancent. C’est bien qu’elles y voient de nouveaux marchés, non ?
C’est l’idée de sociétés, mais ce fut aussi le cas avec Second Life qui avait enregistré des investissements massifs quelques mois avant de disparaître du devant de la scène. La question importante qui se pose est : face à d’autres technologies, en quoi celles qui permettent d’évoluer dans une monde 3D avec un avatar sont-elles plus intéressantes ? Sont-elles plus efficaces qu’un shopping vidéo ? Prenons l’exemple de Nike, achèteriez-vous des chaussures sans les essayer ? Est-ce vraiment intéressant de passer par toute cette technologie d’avatars pour faire ce qui existe déjà en ligne ? Ça peut, mais il faudra vraiment trouver la killer application des univers virtuels, ce qui n’est vraiment pas évident. En ligne, il y a aujourd’hui un choix très important. L’erreur commise par la plupart des investisseurs dans la réalité virtuelle, c’est cette insistance sur le casque. Si vous voulez un univers virtuel qui soit réellement immersif, dans lequel vous pouvez bouger et manipuler les choses, le casque est très largement insuffisant. Si c’est pour finir avec une souris ou une pseudo-souris, comme avec l’Oculus, est-ce vraiment intéressant ? C’est pourquoi Facebook commence à s’intéresser aux gants.
En somme, l’existence des métavers est dépendante de l’équipement ?
Oui, pour faire autre chose qu’un jeu. Pour jouer à World of Warcraft, il suffit d’une souris, car il y a un scénario. Si vous proposez aux gens une expérience immersive avec juste un casque qui donne la nausée, cela ne fait pas trop rêver. Plusieurs études montrent que l’Oculus est surtout utilisé pour regarder des films… Avec un casque, il y a un problème de convergence des yeux, la vision devient paradoxale : par exemple s’il y a un objet lointain dans l’univers virtuel, les yeux vont vouloir converger vers cette distance alors qu’en réalité l’objet est tout près des yeux, sur l’écran. Le casque pose ainsi de nombreux problèmes visuels aux utilisateurs. Or, un vrai métavers est un espace dans lequel on peut bouger. L’idéal serait la CAVE, un équipement très cher et uniquement utilisé par les très grosses sociétés, qui consiste en une pièce entourée d’écrans. Avec les progrès technologiques, ce qui n’est pas accessible aujourd’hui le sera peut-être demain.
Comment peut-on encadrer ces univers virtuels ? Quelles lois s’y appliquent ?
Il y a déjà des affaires de harcèlement sexuel dans Horizon Life, l’univers de Meta… Qui centralise ? Qui fait les lois ? Ce sont finalement les mêmes questions que pour le Web. Il se raconte que Second Life aurait en réalité commencé à décliner quand ses patrons ont décidé d’interdire le jeu, sous la forme de casino, l’une des grandes pratiques de cet univers. Plus largement, la question de la régulation est centrale, d’où les craintes qui peuvent découler des récentes annonces de Facebook qui possède une grande partie de nos données.
Et les applications professionnelles ?
Justement, Bill Gates vient d’expliquer que dans quelques années, nos réunions se tiendront dans des métavers. On disait cela à l’époque de Second Life où l’on voyait des gens se réunir autour d’une table en tailleurs et en costumes-cravates… Mais pourquoi ne pas plutôt se réunir dans la forêt, au milieu des dinosaures ? C’est la reproduction du monde du business dans tout ce qu’il a de plus ennuyeux ! Je me demande quel serait l’intérêt d’une réunion 3D par rapport à un réunion par Zoom. Je n’en vois qu’un et je ne suis pas sûr que les entreprises y voient un avantage : vous pouvez automatiser votre avatar pour qu’il ait l’air d’écouter le patron avec beaucoup d’attention alors qu’en réalité vous lisez le journal en prenant un café. C’est le seul avantage qui j’y vois !
Le gros problème, c’est que, depuis les années 1990, l’univers virtuel est une espèce de gros fantasme que fonde toute la culture Internet. C’est fascinant, mais il faut se demander ce qu’on veut faire avec ce monde virtuel.
Alors, pourquoi un tel emballement ?
C’est une vraie question philosophique. Je dois apparaître comme quelqu’un de très sceptique alors que je suis pourtant très emballé par le virtuel, mais je pense que la bonne direction n’est pas empruntée. Le gros problème, c’est que, depuis les années 1990, l’univers virtuel est une espèce de gros fantasme que fonde toute la culture Internet. C’est fascinant, mais il faut se demander ce qu’on veut faire avec ce monde virtuel. À quoi va-t-il ressembler ? Que veut-on créer ? Il y a quand même un paradoxe à voir Mark Zuckerberg se lancer dans cette aventure alors que l’arrivée de Facebook a justement tué les univers virtuels dans les années 2005, du moins si la théorie de Koster est exacte. C’est un imaginaire extrêmement puissant : Marc Andreessen, le créateur du navigateur Mosaic puis de Netscape, l’aurait fait après avoir lu des livres de William Gibson, l’inventeur de la notion de cyberspace. C’est quelque chose qui fonde complétement l’univers et la culture Internet, très liée à la culture actuelle et aux cultures psychédéliques. Le premier livre important sur la réalité virtuelle a été écrit par Howard Rheingold qui a également écrit sur le rêve lucide et les foules intelligentes. C’est toute une culture avec des acteurs pour qui il est très important de réaliser cet univers virtuel. Celui-ci fait face à deux obstacles. Le premier, c’est la technologie. Le second est philosophique : est-ce que les gens ont envie d’aller dans un univers virtuel pour se réunir autour d’un bureau virtuel ?
Ainsi, selon vous, l’expérience virtuelle doit être totalement éloignée de la vie réelle.
C’est ce que j’attendrai, avec la possibilité d’explorer des mondes différents. En revanche, la réalité augmentée présente, quant à elle, de grands intérêts pour le business.
Comment s’écrit alors l’avenir de la réalité virtuelle ?
Il y a d’abord un certain nombre de questions importantes à régler. Comment créé-t-on des mondes et qui les crée ? L’avantage de Facebook et du Web en général, c’est qu’il est très facile de créer une page Web ou un blog. Créer un appartement virtuel demande du travail et un certain talent. L’autre question, plus philosophique, est de savoir si la réalité virtuelle est une autre réalité significative : est-elle autre chose qu’un décor de théâtre ? Pourquoi créeriez-vous une maison virtuelle ? Est-ce qu’il y pleut ? Fait-il froid ? C’est donc un décor. J’ai toujours opposé deux concepts issus de mes auteurs préférés : Neal Stephenson, avec sa réalité virtuelle et sa boîte de nuit, avec le cyberspace de William Gibson, représentatif d’un certain nombre de données et de process, comme si vous étiez à l’intérieur d’un ordinateur. Au fond, j’attends d’un autre monde qu’il soit significatif : si je dois manipuler un objet, il faut que cela ait un sens. Ça pose des questions très complexes sur la nature de ce qu’on veut créer et ouvre des perspectives extrêmement fascinantes. D’autres questions se posent, comme la synchronicité. Si Second Life est désert, c’est parce plein d’utilisateurs ont créé des espaces dans lesquels ils ne sont pas forcément présents. Il y a donc beaucoup plus de constructions que d’utilisateurs présents en synchrone : on a toujours l’impression d’être dans un désert virtuel, renforcé par le fait qu’il n’y a pas de but précis, contrairement à World of Warcraft. William Gibson expliquait que Second Life était un mélange entre une balade dans le West Edmonton Mall, l’un des plus grands centres commerciaux du monde, et sa pire journée au lycée. Dans ces mondes virtuels, il y a une vraie tristesse, qu’il va falloir résoudre et que vous ne retrouvez pas quand vous êtes en train de jouer.
La conclusion est qu’on peut se changer avec la réalité virtuelle, en bien comme en mal…
Quel est l’impact de ces mondes virtuels sur notre réalité ?
J’ai renoncé à m’intéresser à cette question quand j’ai vu que les études sur la question étaient totalement contradictoires et très peu convaincantes. Seuls les travaux du Virtual Human Interaction Lab (VHIL) de Stanford University sont vraiment passionnants. Ils se sont intéressés à l’influence des mondes virtuels sur la vie réelle et notamment au phénomène de doppelgänger, le double qui vous ressemble. Ils ont ainsi établi que si vous faites pratiquer du sport à votre avatar, vous aurez tendance à en faire plus dans la réalité. D’autres expériences sont plus inquiétantes, comme celle où une psychologue du VIHL a fait venir des enfants de 7 ans à qui elle a montré leurs doppelgängers en train de nager avec des dauphins dans un monde virtuel. Elle a fait revenir les enfants trois semaines plus tard et leur a demandé s’ils avaient déjà nagé avec des dauphins. Un certain nombre d’entre eux était persuadé de l’avoir fait et donnait mêmes des détails : ils s’étaient construit un souvenir qui n’a jamais existé. Le VIHL a également travaillé sur l’empathie et la réalité virtuelle : la conclusion est qu’on peut se changer avec la réalité virtuelle, en bien comme en mal…
Et si le futur du Web ce n’est pas les métavers, en quoi consistera-t-il ?
Ce sera quand même les métavers [rires], mais il y aura du boulot ! Je pense que nous n’y sommes pas encore. Comme on l’a vu, il y a encore un très grand nombre de questions, à la fois techniques et philosophiques, de sens, voire épistémologiques. Finalement, on y arrivera. Contrairement à l’époque de Second Life, nous disposons d’une meilleure technologie et la bande passante n’est plus un problème. Mais nous aurons besoin de plus de capteurs corporels, car le corps doit lui aussi bouger dans le monde virtuel. Il faudra imaginer de nouveaux supports. Si la reconnaissance faciale a considérablement avancé, qu’en est-il de la reconnaissance gestuelle qui va donner du sens à ce que font les utilisateurs ? Microsoft a abandonné la production de sa Kinect, ce qui veut dire que ce n’est pas si simple, alors que la technologie était prometteuse. Plus de capteurs signifie de l’intelligence artificielle, donc probablement des erreurs. En réalité, les métavers sont une idée tellement ancrée chez ceux qui travaillent dans ces domaines, qu’on ne peut qu’y arriver un jour.
Quel est l’attente du grand public et de la société ?
Les gens n’y viendront que s’ils y voient de l’intérêt. Pour l’instant, les métavers ne sont pas intéressants. Les jeux en ligne sont captivants, mais ils ne concernent qu’une petite minorité des gens car c’est très prenant. Moi qui aime beaucoup les jeux vidéo, je ne joue quasiment jamais en ligne : je joue seul, quand j’ai envie et pour la durée que je veux. Avec les jeux en ligne, il y a toujours de la synchronisation et des réseaux sociaux. Ça demande de la disponibilité et ce n’est pas simple. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas eu « l’application tueuse » qui va rassembler des centaines de milliers de personnes. Mais on peut être surpris… Quand j’ai découvert Twitter, je me suis demandé à quoi pouvait servir cette connerie, pourquoi se limiter à 140 caractères quand on peut écrire un texte de la taille de La Bible dans un post de blog ? Et pourtant, ça a passionné les gens. C’est donc très difficile de savoir à l’avance ce que les gens vont vouloir faire…
Et concernant les avatars : les souhaite-t-on différents ou à notre image ?
De nombreuses études ont été faites sur l’impact que peut avoir un avatar sur les autres ; c’est un sujet qui intéresse beaucoup les économistes. Un grand avatar aura plus de facilité à vendre un service qu’un avatar petit, comme un avatar fortement sexualisé, femme ou homme, par rapport à un extra-terrestre. Une étude américaine montrait que c’était également le cas pour un avatar blanc par rapport à un avatar noir – ce qui est totalement terrifiant… J’espère que ce n’est pas le cas ici en France. Si la réalité virtuelle vous change, elle entérine les préjugés et les accentue. C’est d’ailleurs là l’une des vertus du jeu, qui peut vous faire passer d’une vision faite de préjugés à une plus grande ouverture car vous allez être obligé d’incarner d’autres avatars, d’exister sous d’autres formes et de vous développer dans d’autres environnements. Mais une fois de plus, il faut être guidé par un scénario. Sans doute les gens veulent-ils une version un peu améliorée d’eux-mêmes, mais je n’en suis même pas sûr. Cela doit dépendre des groupes et de leur utilisation.
Il y a un énorme avenir pour les univers virtuels dans les sciences.
Qu’avez-vous envie de dire à nos étudiants ?
De ne surtout pas perdre pied ! Malgré tout le scepticisme que j’ai pu montrer, il faut continuer à s’intéresser à toutes ces choses. D’apprendre éventuellement à les coder, s’ils sont informaticiens. Je pense ainsi au concours iGEM [plus grande compétition étudiante au monde consacrée à la biologie de synthèse, où l’équipe du Groupe IONIS s’illustre régulièrement] : il y a un énorme avenir pour les univers virtuels dans les sciences. Comme Foldit, un jeu en ligne qui n’a pas encore de mondes virtuels, auquel les gens se connectent pour plier des protéines. Les résultats sont ensuite examinés par des chercheurs qui ont par exemple trouvé que certaines protéines pouvaient être utilisées comme médicaments contre sida. Les applications pour la réalité virtuelles sont immenses. Sans parler de tout ce qui relève du narratif et des scénarios. Tous les univers virtuels vont avoir besoin de narration (ce qui est aussi le cas dans une page Web), pas seulement les jeux.
Avez-vous des conseils de lecture ?
Il faut absolument lire les trois premiers livres de William Gibson, Snow Crash de Neal Stephensondont nous avons parlé, ainsi que l’autobiographie de Jaron Lanier, considéré comme le créateur du mot « réalité virtuelle » (mais qui rappelle qu’Antonin Artaud fut le premier à l’utiliser), et enfin les publications de Jeremy Bailenson chercheur du VHIL.