Ingénieur, docteur en astrophysique, directeur de recherche au CNRS et expert international des astéroïdes, Patrick Michel était l’invité de l’IPSA pour une conférence exceptionnelle autour de l’exploration spatiale des astéroïdes. Passionné par son métier et la soif de transmettre, il fustige une époque où « une information en balaye une autre aussitôt » : « une ère de la communication où l’on nous demande d’expliquer en deux minutes des choses complexes ». Pourtant, il estime qu’on peut très bien amener le grand public à s’intéresser à des questions difficiles d’accès, comme en témoignent sa riche carrière et son incessant travail de vulgarisation. Il fait partie des initiateurs de plusieurs missions spatiales, notamment DART de la NASA, qui compte lancer un vaisseau à plus de 25 000 km/h sur l’astéroïde Dimorphos, à plus de 10 millions de km de la Terre, un défi digne d’un film de science-fiction. Rencontre.
Vous avez un long CV et un parcours du même acabit. Comment vous présentez ?
Je suis tout simplement directeur de recherche au CNRS et astrophysicien à l’Observatoire de la Côte d’Azur, responsable de l’équipe de planétologie qui s’appelle l’Équipe Théorie et Observations en Planétologie – soit l’équipe « TOP », parce que nous le sommes !
Comment décide-t-on de devenir astrophysicien ? Quel a été l’élément déclencheur ?
La première condition, c’est aimer la recherche et découvrir de nouvelles choses. La seconde, c’est évidemment d’aimer tout ce qui a trait à l’espace et aux grandes questions de l’humanité : Où sommes-nous ? Où allons-nous ? Que sommes-nous ? En ce qui me concerne, j’ai d’abord commencé mon parcours en obtenant un diplôme d’ingénieur avant de faire un DEA – l’équivalent aujourd’hui d’un Master 2 – en imagerie, astronomie et haute résolution angulaire. À la suite de cela, j’ai donc fait un doctorat, ce qui m’a permis de devenir docteur en astrophysique. Dans le cadre de ce doctorat, j’ai commencé à m’intéresser à l’origine et à l’évolution des astéroïdes qui croisent l’orbite de la Terre. À l’époque – nous sommes alors au début des années 1990 –, les scientifiques cherchaient en effet à comprendre comment évoluaient ces petits corps qui croisaient l’orbite de notre planète et à savoir d’où ils venaient. Une grande question donc, d’autant que ces corps représentaient également des risques d’impact. Mieux les connaître permettait ainsi d’établir de meilleures prédictions d’impacts potentiels. Il faut également rappeler que cette période coïncidait avec les débuts de l’ère des missions spatiales vers des astéroïdes, avec un réel engouement pour la compréhension de ces corps qui, en fait, nous renseignent sur la formation des planètes – ces corps étant finalement les restes de briques jamais agglomérées ayant formé les planètes. Reste que, quand on est docteur en France et que l’on souhaite intégrer un organisme de recherche, c’est extrêmement compliqué. Il faut être bon, bien sûr, mais c’est aussi une sorte de loterie. On se retrouve en concurrence avec plein de personnes excellentes. Pour se donner les chances de réussir, il faut notamment beaucoup publier et trouver des financements pour faire un post-doctorat. Pour ma part, j’ai pu en obtenir un de l’Agence spatiale européenne (ESA) pour faire un post-doctorat à l’Observatoire de Turin, en Italie. Sur place, pendant deux ans, je me suis intéressé au processus de collision entre astéroïdes : comment simuler ça ? Quelle est la physique mise en œuvre et comment la modéliser numériquement ? En parallèle, je me présentais au concours du CRNS chaque année, en sachant qu’il y avait toujours une centaine de candidats pour seulement deux-trois postes. Et finalement, j’ai eu la chance d’être assez vite recruté, à l’âge de 29 ans. Depuis cette époque, je fais donc carrière au CNRS et à l’Observatoire de la Côte d’Azur et me bats régulièrement pour faire passer des missions spatiales et en être responsable. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, j’ai un total manque d’assurance, mais mon objectif est toujours de viser le top. Parce qu’en visant le top, au pire, on ne peut que redescendre, ce qui n’est pas grave, surtout si l’on est déjà bas au départ. Être en top, c’est avoir accès à la primauté de l’information et aux découvertes, le fait de pouvoir rencontrer des personnes géniales… Si j’ai réussi, d’autres peuvent aussi y parvenir !
Au travers de mes participations à différentes missions spatiales, j’ai d’pu constater et relever de très grands défis. C’est ce message que je tiens principalement à partager avec les jeunes, qui ne sont pas toujours conscients de ça, la faute à une information plus négative que positive en général.
Quelle place accordez-vous à la transmission auprès des jeunes générations ?
La transmission est essentielle. Même si mon agenda fait que ce n’est pas toujours simple de pouvoir trouver du temps pour ça, je considère qu’elle fait aussi partie de mes responsabilités et même de mes priorités. Nous sommes à un moment assez crucial où il devient extrêmement important d’inspirer les jeunes, de leur donner le goût de la connaissance car, sans même parler d’espace, il y a aujourd’hui de grands défis à relever sur Terre. Il y a deux façons d’approcher des problèmes : en les voyant négativement ou en cherchant à trouver des solutions. Moi, je suis très optimiste et pense qu’il y a effectivement une solution à beaucoup de problèmes, même si l’on ne peut pas y accéder par tous les moyens. Au travers de mes participations à différentes missions spatiales, j’ai d’ailleurs pu constater et relever de très grands défis. C’est ce message que je tiens principalement à partager avec les jeunes, qui ne sont pas toujours conscients de ça, la faute à une information plus négative que positive en général. Or, avec nos métiers « compliqués », nous avons la chance de pouvoir engendrer des choses extraordinaires et donc de démontrer que ces choses-là sont possibles ! Si je peux contribuer à un moment de rêve et à redonner un petit peu de courage supplémentaire à la nouvelle génération pour affronter les problèmes auxquels elle devra faire face, tant mieux. Même jeune, j’avais déjà horreur du plaisir non partagé. Et comme je suis passionné, j’aime partager ma passion. Pour autant, je ne cherche pas non plus absolument à susciter des vocations pour devenir astrophysicien ou ingénieur : mon but est simplement de propager un état d’esprit pour mieux affronter les problèmes et ouvrir le champ des possibles.
Comment vous êtes-vous retrouvés impliqué dans les missions DART et HERA ?
En fait, je ne suis pas seulement impliqué dans ces missions : j’ai contribué, avec d’autres, à les initier ! En effet, tout a commencé en Europe, au début des années 2000, quand l’ESA a sollicité six experts dont je faisais partie pour l’aider à trouver des missions spatiales pertinentes à mener afin de faire face aux risques d’impact. On nous avait demandé d’évaluer plusieurs propositions faites par des collègues et des industriels et nous avions finalement recommandé une mission qui s’appelait « Don Quichotte » et consistait à envoyer deux satellites : l’un servant de projectile visant à taper un astéroïde, l’autre étant un orbiteur chargé de mesurer l’effet de la déviation. C’était un moyen de tester cette méthode dite de l’impacteur cinétique pour se prémunir d’une collision avec la Terre. Même si des études ont été faites avec les industries européennes pour cette mission, le projet a été arrêté, en raison de l’absence de programme et de budget à l’ESA dédiés à ces problèmes d’impact. L’idée de relancer une telle mission m’est revenue au début des années 2010, en discutant avec un collègue américain, Andy Cheng de l’Applied Physics Laboratory de la Johns Hopkins University. Ensemble, on s’est dit que ce serait intéressant de relancer Don Quichotte, celle-ci ayant été citée dans tous les rapports liés à cette problématique de collision, que ce soit ceux du Congrès Américain, l’ONU… On s’est alors demandé s’il n’y avait pas intérêt à partager les efforts et les coûts en associant deux agences pour la mener, chacune s’occupant de la réalisation d’un seul satellite. De nouvelles discussions ont alors été menées avec la NASA et l’ESA pour finalement donner naissance aux missions DART et HERA – qui, à l’époque, s’appelait encore AIM, pour « Asteroid Impact Mission ». Au départ, ces deux missions devaient se dérouler en même temps, pour renforcer le message comme quoi l’Europe et les États-Unis agissaient ensemble. Bon, finalement, et même si les deux agences travaillent toujours conjointement, la mission DART a été lancée en le 23 novembre 2021 tandis que HERA n’arrivera sur le « lieu du crime » qu’en 2024. Cela ne change fondamentalement pas l’objectif du projet, mais c’est dommage pour la symbolique. Cette différence de timing s’explique essentiellement par le fonctionnement de l’ESA : pour arriver à faire passer une mission de ce type en Europe, il faut faire avec les délégations de 25 pays. Toutes ces délégations se réunissent une fois tous les trois ans lors du conseil interministériel de l’ESA pour prendre des décisions. Pour HERA, nous avions proposé une première fois la mission en 2016 pour un lancement au même moment que DART, dans l’idée d’arriver un peu avant cette dernière et ainsi mesurer l’effet de l’impact sur l’astéroïde. Sauf qu’en 2016, le conseil interministériel a retoqué la mission. Un moment affreux à vivre quand on travaille depuis 15 ans sur un tel sujet. Certaines délégations s’étaient retirées au dernier moment… Au-delà de l’aspect scientifique, il y a malheureusement des jeux politiques à prendre en compte : on ne peut pas tout maîtriser, malheureusement. Jan Wörner, le directeur de l’ESA à l’époque, était lui-aussi dépité et avait même écrit une note sur son blog pour partager sa déception. Moi, au moment de cette décision, j’étais au Japon pour une autre réunion, et je me souviens que les journalistes, notamment ceux de la revue Nature, m’avaient appelé dans la nuit pour obtenir ma réaction… À la suite de cela, Jan Wörner nous a demandé de retravailler pour proposer une version optimisée de la mission, mais pas seulement. Sachant que les délégations européennes n’étaient pas toujours enclines à financer une mission quand celle-ci n’appartenait pas à un programme spécifique, il a aussi voulu créer le programme « Space Safety » afin de le proposer au même moment que la nouvelle version de HERA et que deux missions supplémentaires portant sur deux autres sujets très importants liés à la sécurité de l’espace – l’une sur les débris spatiaux et l’autre sur la météorologie de l’espace. Et finalement, le programme et la mission HERA ont été validés lors du conseil interministériel suivant, en 2019. D’où ce décalage avec la mission DART. Bref, voilà comment je me suis retrouvé impliqué dans cette aventure. Et aujourd’hui, je coordonne également l’Asteroid Impact & Deflection Assessment (AIDA), le consortium scientifique qui fait le lien entre les deux missions.
Vous avez travaillé sur de multiples sujets passionnants, mais gardez-vous en tête un souvenir en particulier ? Quelle est votre plus grande fierté ?
J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir certaines choses, c’est vrai ! Dans la recherche, quand vous prédisez une chose et que, quelque temps plus tard, cela arrive réellement, c’est toujours un moment incroyable. Mais c’est vrai qu’avec le recul, ma plus grande fierté est d’avoir réussi à finalement faire passer la mission HERA auprès de l’ESA parce que le combat a été long. Or, des combats, j’en ai menés plusieurs et perdus un certain nombre, à l’image de la mission Marco Polo, soit un retour d’échantillon d’astéroïde sur lequel nous avons travaillé pendant trois ans. Nous étions parvenus jusqu’au premier stade avant d’être recalés, puis avons décidé de proposer une autre version, MarcoPolo-R (pour « Resurected »), et de travailler à nouveau trois ans de plus. Encore une fois recalé. Puis il y a eu AIM, elle-aussi retoquée. Quand HERA est enfin passée, c’était presque miraculeux. Une mission pareille ne m’engage pas que moi, mais vraiment toute une communauté. On en revient à la notion de partage : si je me suis autant battu, c’est aussi pour cette raison, en plus de pouvoir évidemment répondre à une grande inquiétude.
Après, il y a une autre fierté, qui n’a l’air de rien, mais qui est pourtant très importante à mes yeux : c’est quand un jeune vient me voir avec les yeux qui brillent pour me dire « vous ne vous souvenez peut-être pas de moi, mais il y a 10 ans, j’étais venu à une de vos conférences et, aujourd’hui si je fais ça, c’est un peu grâce à vous ». Ça aussi, c’est très plaisant. On se dit qu’on a au moins servi à quelque chose. C’est ce qui m’est arrivé également.
Qui a joué ce rôle pour vous ?
Un professeur de physique, en Terminale. Il a complétement bouleversé mes plans ! Le jour où il a dit qu’on pouvait pratiquement tout connaître d’une étoile sans la toucher, il m’a fait rêver. Se dire qu’avec des calculs, simplement par des raisonnements mathématiques et physiques, on peut définir son âge, sa masse, sa température… c’est très puissant ! Quand j’ai compris cela, ma vie a changé.
Le hasard faisant bien les choses, il y a actuellement un film qui fait grand bruit autour de l’astrophysique et du risque de collision : Don’t Look Up. Qu’en pensez-vous en tant qu’expert ?
Pour tout vous dire, j’ai entendu parler du film pour la première fois quand je suis allé au lancement de DART en novembre dernier aux États-Unis. D’ailleurs, les lancements sont toujours de grands moments. Dans ma vie, j’ai eu la chance de pouvoir assister à deux d’entre eux : celui d’OSIRIS-REx, la mission de retour d’échantillon d’astéroïde dans laquelle je suis membre, à Cap Canaveral en Floride et donc celui de DART, en Californie, sur la base Vandenberg de l’US Air Force. Et quand on est impliqué de surcroît dans le projet, le lancement est encore plus fou à vivre.
Le moment le plus fort, c’est le décompte des 10 secondes avant le décollage ?
Pas tant que ça ! C’est vraiment le moment où la fusée s’élève. On se répète alors « si ça explose, si ça explose… » en croisant les doigts pour que cela n’arrive surtout pas. D’autant que, ce que l’on voit lors d’un lancement, c’est d’abord et avant tout une explosion, sans trop savoir ce qu’il se passe. Pour DART, le lancement était de nuit : on avait vraiment l’impression d’une chandelle qui partait dans les airs ! Heureusement, les Américains commentent en direct pour expliquer ce qu’il se passe et ils le font très bien. Au fond, en tant que spectateur, on a la sensation d’assister à l’accouchement de la Terre, qui extrait son bébé/lanceur de la gravité avec une puissance et un bruit incroyables. Devant un tel spectacle, tout se bouscule dans votre tête. Vous pensez à cet exploit phénoménal réalisé par l’Homme, qui contredit toute la thermodynamique – dans une fusée, il y a du -200° mélangé avec du 3 000° – et qui, pourtant, fonctionne !
Mais pour en revenir à Don’t Look Up, les médias américains étaient persuadés que le lancement de DART était conditionné à la sortie du film qui intervenait le 10 décembre ! Évidemment, il a fallu leur expliquer que ce n’était pas le cas, une mission spatiale se construisant sur une dizaine d’années. Par la suite, j’ai appris qu’une très bonne amie, l’astronome Amy Mainzer, avait été conseillère scientifique pour le film. J’ai alors échangé avec elle pour en savoir plus. J’ai trouvé ça super qu’elle ait passé beaucoup de temps avec Leonardo DiCaprio pour lui apprendre comment les scientifiques fonctionnaient, avec notamment cette notion très importante de peer review (soit l’évaluation par les pairs) que l’on retrouve dans le film. De ce point de vue-là, Don’t Look Up est très bien fait. Pour ce qui est du scénario en lui-même, on a bien compris que le but du réalisateur était de faire une analogie avec le réchauffement climatique. Mais ça fonctionne. En effet, dès qu’on a affaire à des phénomènes à faible probabilité et hautes conséquences, les gens ont tendance à ne plus rien comprendre : la perception du risque devient alors individuelle. C’est ce qu’on a pu d’ailleurs constater avec la pandémie de Covid-19, qui est un autre problème mélangeant sciences et société. Le scénario est donc plausible et possible, même si hautement improbable.
Ce n’est pas totalement de la science-fiction dans le sens où il est possible qu’une comète de cette taille arrive sur Terre.
En quoi est-il hautement improbable ?
Ce n’est pas totalement de la science-fiction dans le sens où il est possible qu’une comète de cette taille arrive sur Terre. En effet, il y a un type de comète qu’on ne saurait qu’elle entrerait en collision avec la Terre juste un an avant : les comètes à longue période. Ces dernières viennent du nuage de Oort, au-delà du système solaire. Comme elles sont à longue période, on ne les voit qu’une fois, quand elles ont passé Jupiter. C’est à partir de ce moment qu’on sait où elles vont aller d’ici un an. Mais c’est un cas extrêmement rare et il y a autant de chances à ce que cela arrive que de gagner au loto ! Le scénario est donc, à ce niveau, improbable. Pour autant, il souligne quelque chose que tous les scientifiques ont déjà vécu : la grande difficulté à convaincre des politiques de la pertinence d’un problème. J’ai moi-même connu ça pour le risque d’impact, mais pas seulement. En effet, en 2004, nous avons découvert un objet céleste du nom d’Apophis. À ce moment-là, les premières probabilités d’impact étaient très élevées. Il y avait des imprécisions dans les observations et, comme nous étions au courant de ces dernières, nous avons cherché d’autres observations afin de prolonger la trajectoire et ainsi éliminer la probabilité d’impact. Sauf que, au-delà de ces spécificités, cette situation nous a fait nous poser une question essentielle : qui devrait-on prévenir en cas de problème ? Nous étions alors trois – un Italien, un Américain et moi – et chacun pensait à contacter d’abord le président de son pays. Voilà comment on a commencé à s’interroger sur comment organiser une réponse coordonnée internationale, au-delà de l’aspect scientifique et technologique. On a ainsi mis en place des ateliers de communication, pour savoir quand et comment communiquer et ainsi avoir un discours cohérent. Le but est de ne pas avoir différentes personnes allant sur des plateaux télé pour tenir des propos contradictoires.
Cette contradiction médiatique, on a notamment pu la constater durant la pandémie de Covid-19…
Exactement. Dès que la pandémie a démarré, on a tout de suite observé ces contradictions. Mon épouse, qui suit mes activités et mon parcours, n’en revenait pas : « Ils font toutes les erreurs auxquelles vous aviez pensées. » En effet, à l’ONU, nous avons commencé à réfléchir sur ces questions il y a 15 ans… et c’était nécessaire ! Il faut de la transparence dans ces situations – on ne doit surtout pas cacher des choses aux gens –, mais surtout réfléchir à la façon dont on traite le sujet médiatiquement pour ne pas créer de la confusion.
On doit uniquement présenter ce qui fait consensus. Qu’il y ait des débats entre scientifiques, c’est très bien et même essentiel, mais ces échanges doivent rester dans la sphère scientifique. Si ces débats interviennent devant le grand public, ce dernier va s’y perdre et commencer à croire uniquement que ce qui l’arrange.
Il faut aussi bien privilégier le fond que la forme, non ?
En fait, on doit uniquement présenter ce qui fait consensus. Qu’il y ait des débats entre scientifiques, c’est très bien et même essentiel, mais ces échanges doivent rester dans la sphère scientifique. Si ces débats interviennent devant le grand public, ce dernier va s’y perdre et commencer à croire uniquement que ce qui l’arrange. Or, comme nous avions commencé à réfléchir à ces questions il y a plusieurs années pour ce qui est des astéroïdes, j’ai véritablement été surpris de voir que, pour d’autres risques comme celui d’une pandémie, cela n’avait pas été le cas. Tout cela donne du grain à moudre au scénario de Don’t Look Up. Aujourd’hui, nous sommes malheureusement dans une ère de la communication où l’on nous demande d’expliquer en deux minutes des choses complexes, tout en sachant qu’une information en balaye une autre aussitôt. Ce n’est pas viable car on ne peut pas expliquer simplement ce genre de situation en deux minutes. Certains médias pensent, à tort, que si l’explication dure plus longtemps, elle en deviendra incompréhensible, alors que nous pouvons très bien avoir un moment d’échange plus long sans pour autant perdre le spectateur, l’auditeur ou le lecteur ! Pour cela, il suffit que les scientifiques fassent l’effort d’être très vulgarisateurs et qu’on leur accorde le temps nécessaire pour expliciter tous les aspects. Rien n’est jamais blanc ou noir alors que les médias ont tendance à vouloir à tout prix obtenir une réponse « sûre », pensant qu’une réponse nuancée serait, de facto, une réponse compliquée. On peut alors très bien se retrouver comme Leonardo DiCaprio dans le film, totalement dépité face à une journaliste hilare. Bien entendu, comme la situation ne s’est heureusement pas présentée à ce jour, je ne sais pas si tout ce que nous avons mis en place à l’ONU fonctionnerait – et j’espère qu’on n’aura pas à le vérifier ! Tout cela pour dire que Don’t Look Up n’est pas si surréaliste que ça, bien qu’il verse volontairement dans l’excès et s’inscrit d’abord dans une culture très américaine. Si, en France, on peut se plaindre parfois de nos débats, pensons à ce qu’il se passe aux États-Unis, où le peuple est clairement divisé, vivant chacun dans un univers quasiment parallèle, symbolisé par la présence de deux grands partis uniques. Cet aspect est très bien représenté dans le film, tout comme cette tendance qui voit les entrepreneurs avoir accès à l’espace par eux-mêmes. Ce dernier point n’est pas nécessairement un mal si cet accès est bien régulé et contrôlé. Pour ma part, je ne vois pas forcément ça d’un mauvais œil, dans le sens où cela permet aussi de financer de nouvelles missions. Au fond, ces entrepreneurs sont également des rêveurs et s’ils parviennent à ne faire que 10 % de ce qu’ils annoncent, c’est d’abord grâce à ces rêves. Sans rêve, ils n’atteindraient que 1 %. Reste que tout n’est pas possible ni réalisable, malgré les rêves. C’est aussi un message dénoncé dans le film et que l’on entend pourtant de plus aujourd’hui : « Oui, mais technologiquement, on saura faire ! ». Ce n’est pas vrai, même pour le risque d’impact. Je suis parfois surpris d’entendre des gens dire « on sait dévier un astéroïde ». C’est faux. « Oui, mais on le saura ». À terme, peut-être, mais il y a encore beaucoup d’étapes à passer avant. Comme la société a connu une très grande progression technologique ces dernières décennies, les gens ont tendance à zapper ces étapes. Or, on ne peut pas défier les lois de la physique. Et quand on ne sait pas comment elles s’expriment dans certaines conditions, il faut d’abord apprendre. Le film le montre très bien, avec une personne qui explique qu’on va aller miner cette comète : pour elle, tout paraît simple. Sauf que rien n’est simple… et c’est ça qui est bien ! Ce n’est pas grave si c’est compliqué : il suffit de travailler et d’être conscient de la difficulté pour, après, être enfin en mesure de faire les choses.