Pablo Servigne : « Une crise de civilisation »

Pablo Servigne est l’un principaux théoriciens de la collapsologie dont il a jeté les bases en France avec Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015). Ce best-seller proposait alors une lecture inédite des différentes crises (écologie, climat, social, finance…) que nous traversons : des effondrements qui, mis bout à bout, semblent tout droit annoncer, a minima, la fin de la civilisation industrielleSi l’effondrement général n’a pas encore eu lieu, les questionnements soulevés par cet agronome et docteur en biologie, ne peuvent laisser personne insensible. Aussi amers soient-ils, ils interrogent sur notre rapport au monde, aussi bien celui dans lequel nous souhaitons vivre que celui que nous laisserons aux générations futures…

Comment peut-on vous présenter ?
J’ai un passé de scientifique et de chercheur (agronome tropical de Gembloux Agro-Bio Tech et docteur en sciences de l’Université libre de Bruxelles). Puis, je suis sorti du monde académique pour faire de l’éducation populaire, en lien avec la science. J’ai toujours aimé traduire ce que faisait la science et le partager avec un maximum de personnes sur des sujets qui me touchent comme l’effondrement, l’entraide, la résilience… Je ne savais pas comment me nommer… « chercheur indépendant » au début car nous faisions une sorte de recherche. Puis avec mes coauteurs Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens nous avons opté pour le terme de chercheur « in-terre-dépendant », afin de montrer qu’on n’est jamais seul, que la recherche est un réseau et que les scientifiques participent à une entreprise commune, toujours en lien avec le public. Aujourd’hui, j’écris des livres, des articles, donne des conférences, anime des ateliers et débats…

Comment est née la collapsologie, dont vous êtes l’un des cofondateurs en France ? Comment en êtes-vous venus à théoriser l’effondrement ?
Tout a démarré en 2012, quand Raphaël Stevens et moi nous nous sommes rencontrés. Chacun de notre côté, nous étions tous les deux des bibliophiles voire des « bibliopathes » [rires] : on accumulait les livres et les articles scientifiques sur l’écologie, la résilience, les crises économiques… Nous avons alors commencé à travailler ensemble sur la question du collapse (l’effondrement), un mot qui revenait souvent dans la bouche des scientifiques. Une sorte de paysage cohérent s’est ainsi dessiné, comme corpus théorique assez cohérent. Pour autant, nous avions beau avoir consulté plus de 1 000 ouvrages et plus de 5 000 articles scientifiques, aucun ne résumait correctement ce que nous voulions exprimer. D’où la nécessité d’écrire ensemble Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), une sorte de best-of de nos « déclics ». Ce n’était pas vraiment de l’écologie, ni de la décroissance, alors nous avons inventé un mot, « collapsologie » qui est venu assez naturellement et qui montrait notre attachement à la science. Ce mot, au départ inventé de façon légère pour parler d’un sujet lourd et anxiogène, a finalement été repris très rapidement par tout le monde, preuve qu’on en avait besoin. De ce fait, c’est devenu un terme sérieux, qui est même entré dans le dictionnaire en 2020. Il est désormais repris par des scientifiques qui font des thèses et des travaux sur ce sujet. Et le phénomène médiatique nous a échappé, déformant le concept, mais c’est très bien comme ça !

La globalisation a provoqué une fragilité du système économique mondial.

Quels sont les principaux types d’effondrements que vous avez identifiés ?
Beaucoup de disciplines scientifiques sont, en un sens, catastrophiques, c’est-à-dire qu’elles ont détecté des risques de catastrophe, comme le climat avec les événements extrêmes, les ressources en minerais et en pétrole qui s’épuisent, la biodiversité qui s’effondre, les sols et les océans qui meurent… À quoi l’on peut ajouter les crises politiques et géopolitiques, ainsi que les crises économiques et financières (il y a eu plus d’une centaine de krachs boursiers au cours du 20e siècle). Ce sont des éléments connus dans chaque discipline. Pour essayer de relier tout cela, nous avons pris la métaphore de la voiture.
Considérons que la société industrielle est une voiture. Elle accélère, et nous lui mettons toujours plus d’énergie, avec le pied au plancher : on doit accélérer pour maintenir ce système économique, au détriment de la nature. Mais il n’y a pas de mur en face, il y a d’autres problèmes : notre réservoir est vide (il y a des difficultés d’approvisionnement avec un moteur qui toussote) et nous sortons de la route en dévalant les bas-côtés, dans le brouillard et avec un tas d’obstacles (car nous avons déstabilisé le climat et les écosystèmes). On va se prendre des retours de balancier, des coups, sans savoir d’où ils vont venir, comme des pandémies, la fonte des glaciers, des sécheresses, des ouragans, des pertes agricoles, etc. À cela s’ajoute que le volant de la voiture est bloqué : il est très difficile de changer de trajectoire et d’aller vers une transition soutenable. Nos habitudes industrielles, psychologiques et politiques font que c’est compliqué d’opérer une transition rapide vers plus de soutenabilité. Enfin, l’habitacle de la voiture est de plus en plus fragile, car la globalisation a rendu le système économique mondial très vulnérable aux chocs globaux. Nous sommes dans un monde rapide et homogène, et comme on l’a vu avec la Covid-19, le moindre choc se répand partout sur Terre, très vite, en quelques secondes, minutes, heures ou jours.

Justement, quelles faiblesses de notre monde cette crise sanitaire a-t-elle mises à jour ?
Il y en a plein… Il y a d’abord sa fragilité et ce paradoxe que nous avions découvert au fil de nos recherches : plus notre monde industriel est puissant, plus il est fragile. C’est un colosse aux pieds d’argile, qui est devenu vulnérable à ces nouveaux types de chocs systémiques qui apparaissent. Le deuxième élément que nous a montré cette crise est que pour se protéger des chocs globaux, il faut investir dans le local. Le local rend résilient par rapport aux catastrophes globales. Inversement, la mondialisation nous rend résilients par rapport aux chocs locaux. C’est par exemple grâce au commerce que des régions victimes de sécheresse s’en sortent. Mais notre mondialisation a trop été vers le global et a délaissé le local… au moment où les chocs globaux apparaissent ! Il faut voir cette crise comme une invitation à se tourner vers des liens et des systèmes économiques plus locaux, plus diversifiés, plus hétérogènes, sans pour autant délaisser totalement les échanges globaux. Le troisième point marquant, c’est la réactivité des gouvernants : comme la menace les touchait directement, ils ont eu peur et ont activé les leviers pour arrêter le monde. D’habitude, les catastrophes tuent surtout les pauvres, et tout le monde s’en fout… Là, non, le virus a tué même les puissants et les riches. Outrage ! Au fond, cela a montré qu’il y avait des alternatives. Les néolibéraux nous ont mis dans la tête qu’il n’y avait pas d’alternative, que le monde ne s’arrêterait pas. En fait, si : il peut s’arrêter et on peut même décider de l’arrêter ! Ça a été un grand déclic ! Dernière chose, on a vu que lorsqu’on laisse le monde naturel tranquille, ce dernier refleurit assez vite : les animaux et les plantes peuvent renaître. Cela, on l’a constaté lors du premier confinement où les populations de plein d’animaux sauvages avaient repris de la vigueur en quelques semaines.

La confiance est un élément clé des groupes sociaux et humains – la pierre d’achoppement.

Cet épisode ne montre-t-il pas également une crise de confiance des populations vis-à-vis du système, de ses dirigeants, voire de leurs semblables ?
C’est un thème que nous avons développé dans L’Entraide : l’autre loi de la jungle (Les liens qui libèrent, 2019) : la confiance est un élément clé des groupes sociaux et humains – la pierre d’achoppement. S’il n’y a plus de confiance en l’autre, en un récit commun ou en l’avenir, alors tout s’effondre, à commencer par le groupe, les systèmes économiques et politiques. Ce sont des dynamiques très rapides, qui ne sont pas de l’ordre du siècle comme pour le climat ou la biodiversité, mais de l’ordre des jours – ce qui est dangereux. Inversement, la confiance joue aussi le rôle de verrou, car les systèmes politiques et économiques sont obligés de maintenir une confiance « artificielle » : s’ils ne disent pas que tout va bien, alors la confiance s’effondre. Autrement dit, s’ils disent que ça risque de s’effondrer, ils provoquent justement un effondrement de la confiance. C’est un verrou politique et psychologique majeur. Mais en maintenant ce mensonge, les dirigeants perdent progressivement la confiance des populations, comme on l’a vu avec la gestion de la pandémie, sur le chômage, sur la théorie du ruissèlement, etc. Les chiffres du climat, c’est pareil ! Ils les connaissent, mais ils ne font rien. Cette perte de confiance est très dangereuse pour un système politique, cette rupture entre la base et les élites est un facteur d’effondrement.

Comment en est-on arrivé à créer un monde qui s’autodétruit ?
A qui la faute ? C’est la grande question, mais elle n’a pas de réponse simple. Dans nos premiers livres, nous ne sommes pas allés voir les causes, et on nous l’a d’ailleurs beaucoup reproché . Nous décrivions les dynamiques d’effondrement de la société et du monde vivant. En s’intéressant aux causes, on s’est aperçus que tout le monde avait une explication différente. Pour les Marxistes, c’est la lutte des classes. Pour des écologues, ce sont les humains depuis 50 000 ans. Pour d’autres, c’est invention de l’agriculture. Pour d’autres, c’est l’avidité, la finance mondiale, le patriarcat, ou le pétrole, etc. Nous nous sommes amusés à rassembler une vingtaine de causes [dans Aux origines de la catastrophe : Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? (Les liens qui libèrent, 2020)], et nous avons remarqué que nons seulement elles étaient toutes valables, mais surtout, elles s’emboîtaient. Effectivement, le capitalisme est responsable et coupable de ce qui arrive (encore faut-il définir précisément le capitalisme), mais il est lui même issu de causes qui lui ont permis de naître : la volonté d’accumulation, typiquement occidentale, ajouté à  la volonté de colonisation, que d’autres cultures n’ont pas. À cela s’ajoute une convergence des pouvoirs militaires, marchands et idéologiques. Ces éléments emboîtés forment la « méga machine » décrite par Lewis Mumford puis Fabian Scheidler. Et tout cela n’aurait pas été possible sans la découverte des énergies fossiles qui nous ont donné la puissance… On peut remonter le temps comme cela vers des causes premières, ou… radicales : la séparation nature culture, par exemple, ou le patriarcat. Plus on creuse, plus on s’attaque à nous-mêmes et à des choses à l’intérieur de nous. Comment se défaire de l’idée de considérer les êtres vivants comme des ressources et pas comme des partenaires ? C’est une question philosophique fondamentale qui implique de tout revoir. C’est enthousiasmant et déprimant à la fois.

© Vanessa Chambard

Ce qui explique aussi pourquoi tant de gens sont encore sourds et aveugles face à l’urgence.
Ce n’est pas tant de l’aveuglement que de la confusion. Et j’en ai fait partie. Quand on découvre la possibilité d’effondrement, c’est généralement à travers un angle : on devient par exemple obsédé par la question climatique, ou nucléaire, ou la croissance ou la lutte des classes, etc. Et on voit tout à travers ce prisme. Des militants « mono-causes ». Du coup, on se chamaille et on n’arrive pas à avoir de stratégie globale. Puis, quand on découvre qu’il y a plusieurs causes, on passe son temps à hiérarchiser les luttes. On y perd un temps énorme ! Enfin, quand on découvre que tout est systémique, et qu’en tirant n’importe quel fil on arrive toujours à la même pelote, naît une grande angoisse, un sentiment d’impuissance qui donne l’impression qu’on ne va pas s’en sortir. Cette phase de dépression est fondamentale, et elle est même bienvenue. Elle est passagère, mais il faut avoir touché le fond pour pouvoir remonter. C’est là qu’on voit que l’action seule ne suffit pas, il faut se coltiner les questions d’ordre « intérieur » :  notre rapport au monde, au spirituel, à l’art, à l’imaginaire, aux affects, etc. Cette question intérieure est éminemment collective, et pas seulement individuelle. Nous sommes dans une crise de civilisation. La raison et le politique sont nécessaires, mais pas suffisants.

Si le constat fait peur, il faut apprendre à domestiquer nos peurs, avant les catastrophes. Car la peur est très dangereuse.

Stigmatisé comme « prophète de l’apocalypse », vous affichez paradoxalement un très grand calme face à ce que vous décrivez. Comme si la panique ou la colère étaient toujours mauvaises conseillères…
Notre but n’était pas de faire peur, mais plutôt d’informer les gens. Et si le constat fait peur, il faut alors apprendre à domestiquer nos peurs, avant les catastrophes. Car la peur est très dangereuse, surtout pendant les catastrophes. Si la maison des voisins brûle et qu’on n’est pas préparés, on va faire n’importe quoi et n’être utiles à personne, voire être dangereux ou gêner les pompiers. Vous allez paniquer et être tétanisé. Si vous vous êtes préparés à cette éventualité, à ce risque (alors que personne n’y croyait), que vous savez où sont les extincteurs, que vous vous entendez bien avec vos voisins, vous savez où et comment les pompiers vont procéder, vous allez maîtriser votre peur et être beaucoup plus efficace. Et alors vous pourrez aider. C’est exactement cela la collapsologie : maitriser les risques, et se préparer à l’entraide. C’est ce que nous souhaitons faire avec nos ouvrages.
Quant à mon calme, je ne sais pas, peut-être est-ce dû à un accident de la route très grave qui m’est arrivé adolescent. Celui-ci m’a mis en contact avec la mort. C’est comme si j’étais maintenant dans ma deuxième vie. J’ai ainsi une expérience très dense de la peur, de la douleur et de la mort qui fait que j’arrive à aborder ces sujets au quotidien et les étreindre plus facilement. J’ai l’impression que beaucoup de collaspologues sont passés par une phase d’effondrement (de maladie, de burnout ou d’accident) qui leur a conféré un rapport à la mort beaucoup plus décomplexé.

Comme surmonter un deuil.
Oui, exactement. Quand on fait face à une énorme perte qui nous bouleverse, des émotions énormes nous submergent pendant des mois. On dit qu’un deuil dure généralement deux ans – c’est très long – car il s’agit de traverser ces affects, encore et encore, et de les user, de les épuiser. Mais il faut les vivre, sinon ça ne se passe pas bien du tout. Au début, c’est très fort, puis on finit par user ces sentiments, comme la colère ou la révolte, et on finit par vivre avec. L’idée n’est pas d’oublier le défunt, mais de vivre toute la vie avec cette douleur, cette peur et cette tristesse, et que ça devienne une belle cicatrice. Une cicatrice, on ne l’efface jamais, mais on en prend soin. La mort et la peur de la mort, c’est pareil. Les catastrophes, c’est mieux de s’entrainer à avoir peur avant qu’elles n’arrivent. Car ce que disent les scientifiques, c’est qu’elles arrivent.

La liberté est une construction sociale. Cela veut dire revoir la notion de progrès et d’abondance. Sur quoi fondons-nous nos sociétés ?

Comment diminuer les échelles de pouvoir qui, à vos yeux, sont l’une des causes du problème ?
Oui, la taille des systèmes est vraiment problématique, qu’ils soient économiques, industriels, politiques ou techniques. On a créé des systèmes qui ont grandi au-delà du « seuil de convivialité » – une notion théorisée par Ivan Illich dans les années 1970 : il explique qu’au-delà d’un certain seuil de taille et de complexité, les systèmes deviennent contreproductifs. Chaque système, comme les organismes vivants, a une fourchette d’échelle optimale. Par exemple, il n’y a pas de fourmi d’un mètre de long : elles ont une physiologie qui font qu’elles sont petites, au maximum un centimètre. Comme il n’existe pas d’oiseau de 10 mètres de large ou d’un centimètre. Car physiquement, il ne pourrait pas voler. C’est pareil pour les systèmes sociaux et techniques : au-delà d’un certain seuil, ils ne sont plus optimaux. Nous avons là un besoin de penser stratégiquement une décroissance, une sorte de projet politique d’anticipation des effondrements, précisément pour qu’ils n’arrivent pas ! Au fond, un effondrement est une décroissance brutale et non souhaitée. Si on veut arriver à un équilibre avec la biosphère, il faut décroître sans s’effondrer. C’est la clé. Cela passe – c’est mon avis et une discussion politique en chantier – par une réduction des échelles et une horizontalité des pouvoirs. Donc par une diminution de la verticalité de la hiérarchie des pouvoirs. Or, nous sommes actuellement trop dans du hiérarchique pyramidal, ce qui est certes efficace dans une situation donnée, mais ne permet pas de s’adapter. Il faut innover politiquement vers des systèmes plus décentralisés, réticulaires, rhizomatiques… En somme, vers plus d’autogestion et de fédéralisme. C’est une piste de résilience très intéressante.

Vous expliquez que la démocratie est la seule alternative entre un « capitalisme vert » et un « autoritarisme vert » qui nous menacent. Pourquoi ?
Ce sont les deux grands risques du libéralisme. Sa main gauche, c’est le droit : pour protéger les gens et la nature, on leur donne des droits. Sa main droite, c’est le marché : pour faire fonctionner le système, on donne un prix aux choses, et on prie pour que la main invisible efface les problèmes. Si on pousse ses deux logiques, on obtient soit de l’autoritarisme vert, soit capitalisme vert. C’est ce qui arrive. Le libéralisme considère les êtres vivants comme des ressources. C’est une philosophie de vie pas du tout ancrée, totalement hors-sol ! Il faut donc faire un pas de côté par rapport à cette philosophie politique devenue obsolète. Il nous faut revoir notre conception de la liberté. Être libre, ce n’est pas faire ce qu’on veut. La liberté est une construction sociale. Cela veut dire aussi revoir la notion de progrès et d’abondance. Sur quoi fondons-nous nos sociétés ? Le libéralisme ne pense pas les limites. Il faut tout revoir et ne pas juste se contenter des solutions libérales. Il faut penser en dehors du cadre.

Nous sommes à une période charnière dans laquelle nous sommes les acteurs. L’avenir est incertain.

Que souhaitez-vous dire à nos étudiants ?
D’abord leur envoyer plein de courage car la situation actuelle n’est vraiment pas facile pour eux.
J’ai été assez surpris de constater que nos écrits « collapso » touchaient de façon positive les plus jeunes et de façon plus négative les plus anciens. Peut-être est-ce dû au fait que les anciennes générations peuvent se dire qu’elles ne sont pas concernées et qu’advienne que pourra. Les plus jeunes, quant à eux, ne peuvent pas se dire ça, ils ont une vie devant eux. Et puis quand on est jeune, la peur nous met en mouvement : on a encore la force de courir, d’inventer et de faire un pas de côté. Il y a une obligation morale et éthique à agir. En tout cas pour moi, c’est le cas, ne serait-ce que pour nos enfants pour qui nous devons construire un monde meilleur. 
Je leur conseillerais ensuite de ne pas choisir une carrière en fonction du marché du travail, mais qu’ils regardent au fond d’eux-mêmes ce qui les met en joie. Qu’ils se demandent vraiment ce qu’ils auront envie de dire à leurs petits-enfants quand ils seront sur leur lit de mort. Qu’ils se demandent vraiment ce qu’ils veulent apporter au monde.
Je leur dirais aussi que les catastrophes sont là, c’est à nous d’en découdre. Nous sommes à une période charnière dans laquelle nous sommes les acteurs. L’avenir est incertain. Comme l’explique Joanna Macy, nous pouvons nous placer dans l’optique que nous vivons un « grand tournant ». Il y a plein de choses à faire, et c’est à nous de le faire ! Pour se mettre à l’action, il faut du courage. L’espoir revient qu’on se met en mouvement et quand on voit les collectifs renaître. Il est normal de passer par des phases de déception, de colère et de dépression. Mais il faut arriver à s’entraider malgré tout. C’est la seule solution.

C’est tout le propos de vos recherches sur les fourmis et les animaux qui, en période de crise, s’entraident et coopèrent.
Le fait social, la socialité, c’est ça qui me passionne. C’est une « invention » de l’évolution pour survivre. Au final, ceux qui survivent ne sont pas nécessairement les plus forts, mais ceux qui coopèrent le plus. Il y a des milliers d’espèces animales qui sont sociales, et nous les humains, sommes l’une des espèces les plus douées en socialité. Or, l’idéologie néo-libérale l’a non seulement oublié, mais l’a caché, et travaille contre cela, pour détruire les liens sociaux. Le capitalisme est une attaque contre les liens, les liens entre nous et les liens avec les êtres vivants. Quand on s’intéresse aux principes du vivant et de l’évolution, on comprend que l’entraide est un facteur de survie et même plus : elle donne un sens à la vie.

Quel est votre rapport aux nouvelles technologies ?
Assez paradoxal. Je suis à la fois fasciné et vigilant. Fasciné par les possibilités, les ouvertures, le pouvoir, les connexions qu’elles proposent. Mais je suis alerte et plutôt effrayé de leurs effets contreproductifs. Au-delà du seuil de convivialité dont on parlait, les réseaux sociaux deviennent asociaux. Le virtuel qui était là pour nous libérer nous asservit en nous maintenant dans une sphère qui nous coupe de la vie, de notre élan vital. Sans compter que les nouvelles technologies participent de l’accélération du monde et consomment de nombreuses ressources. Le plus grave problème est celui de la surveillance généralisée et du contrôle des populations. Il ne faut pas se laisser avoir, si on perd ce combat, c’est la démocratie qui meurt. Ce sera alors un grand pas vers un effondrement.


Yggdrasil

« La collapsologie est une notion qui nous a dépassé. Il y a aujourd’hui un véritable mouvement très coloré qui touche toutes les strates de la société et tous les secteurs d’activités. Avec Yvan Saint-Jours, nous avons créé un magazine, il y a deux ans, pour accompagner ce mouvement pluriel. On a voulu un trimestriel papier (en évitant au maximum le virtuel) qui soit beau et qui touche la tête, le cœur et les mains. C’est à la fois de la science, du spirituel, de l’art, du politique, de l’action… C’est le seul magazine qui traite de façon frontal la question de l’effondrement… et du renouveau ! On l’a également voulu à durée déterminée de trois ans : il s’autodétruira après douze numéros. C’est une manière d’incarner la finitude. En interne, cela a totalement changé notre rapport à la presse, au public et au sein de l’équipe elle-même. C’est une expérience très intéressante. »

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