Pascal Le Pautremat est expert en géopolitique et intervenant à l’ISG Nantes. Son essai dresse une synthèse de la situation actuelle de l’eau sur la planète : objet de tensions et de spéculations, elle est, avant tout, un enjeu de survie.
Au fond, l’eau a toujours été un enjeu géostratégique central.
Ce livre montre la récurrence de cette question. D’abord entre États, en particulier pour des voisins qui partagent les sources d’un fleuve dont ils sont tributaires. On peut citer des cas emblématiques en Afrique – les sources du Nil qui font l’objet de tensions entre le Soudan, l’Égypte et l’Ethiopie – ou en Asie – les sources du Brahmapoutre, du Grange et de l’Indus entre l’Inde, la Chine et le Pakistan. Mais l’eau, c’est aussi la source de la vie dont la raréfaction est désormais en cours. Il s’agit de réfléchir à notre manière de consommer et à notre capacité à nous projeter dans les décennies à venir. Cela passe par une véritable politique de lutte contre le gaspillage, le recyclage, la réutilisation des eaux que l’on a trop tendance à jeter polluées. L’impact est énorme sur les écosystèmes et entraîne la mort de 3,4 millions de personnes, en moyenne, chaque année. L’eau est un sujet très vaste qui concerne tout le monde, en particulier les futurs professionnels qui pourront imaginer des projets responsables.
Comment renforcer cette prise de conscience ?
Cela fait des années que le sujet est sur la table, mais les hommes politiques sont trop timorés – comme souvent à propos des questions environnementales – ou dubitatifs, sans parler du rôle des multinationales. D’autres appellent à accélérer le mouvement : il suffit de se plonger dans les rapports internationaux, comme celui du GIEC, qui tous amènent des preuves incontestables. Il faut que les gens prennent conscience de la nécessité de tout revoir immédiatement, de changer la donne. Aujourd’hui, pas dans 15 ans ! Sans quoi, les tensions et les conflits autour de l’eau vont grandir. Dans nos pays, avec des dissensions très fortes autour de la disponibilité de l’eau, avec des phases de sécheresse. Cela deviendra même une question de survie pour certaines populations, comme aujourd’hui au Mali entre agriculteurs et éleveurs. Avec la fonte des glaciers, l’eau douce va, par ailleurs, devenir beaucoup plus rare. Nous devons imaginer de nouvelles solutions, comme les usines de dessalement dont le nombre va se démultiplier. Les défis sont nombreux et immenses, mais nous pouvons changer les choses.
Les tensions et les conflits autour de l’eau vont grandir.
La marchandisation de l’eau, notamment par des multinationales, est aussi un sujet sensible.
Ce sont les conséquences de l’ultralibéralisme. Certains spéculent sur sa raréfaction. On a déjà des cas ponctuels, en Australie et dans certains États américains. Cette appropriation est immorale et devrait être sanctionnée. Mais nous n’y sommes pas encore. Quand l’urgence sera encore plus grande, ces spéculations seront sans doute sanctionnées. L’histoire l’a toujours montré : en situation extrêmement tendue, les logiques de spéculation malhonnêtes, malsaines et cyniques, ont toujours fini par être sévèrement réprimandées.
Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
L’eau fait partie des thématiques pertinentes qui m’accompagnent depuis plus de 20 ans à travers mes enseignements. Je m’intéresse à la macro et micro-économie, en particulier à l’ISG. Je suis également expert sur les conflits contemporains et donne des cours ou des conférences en géopolitique. Mon crédo est de rendre accessibles des sujets relativement pointus afin qu’un maximum de personnes aient le savoir nécessaire pour devenir acteurs.
Si je suis souvent atterré par l’immobilisme ou le déni que l’on observe trop souvent, je suis régulièrement ému par des actions d’entrepreneurs qui innovent et proposent des alternatives réjouissantes. Ils créent de belles dynamiques qui montrent que nous restons acteurs et que nous pouvons faire de belles choses. Mais cela n’est pas linéaire !
● Géopolitique de l’eau de Pascal Le Pautremat (Éditions L’Esprit du Temps, 2020)