Quand le retard devient un atout

Islam Boussaada est enseignant-chercheur à l’IPSA, chercheur associé au Laboratoire des signaux et systèmes (Université Paris-Saclay, CentraleSupélec-CNRS) et à l’équipe DISCO de l’Inria Saclay. Sa spécialité ? L’analyse de l’effet induit par le retard sur les dynamiques des systèmes. Un sujet a priori original, mais pourtant loin d’être vain. Ainsi, par exemple en réseaux de communication, le retard peut avoir plusieurs origines ; retards de propagation, retards de transmission, retards dus aux files d’attentes et retard de traitement. En biologie, le retard peut représenter les temps de gestation, des périodes d’incubation, des retards de transport et il arrive que le retard soit intentionnellement introduit dans des modélisations pour regrouper le temps nécessaire au déroulement de processus intermédiaires compliqués ou encore méconnus. Ce retard peut se transformer en atout pour mieux piloter les systèmes. Auteur de nombreuses publications, il vient de codiriger un ouvrage collectif faisant le point sur les dernières avancées dans l’étude du retard.

Que trouve-t-on dans votre dernier livre ?
Springer édite la collection « Advances in Delays and Dynamics » dédiée aux dernières avancées scientifiques en matière d’effet du retard sur la dynamique d’un système. Plus précisément, cet ouvrage collectif est une sorte d’état des lieux des travaux de recherche portant sur l’incidence du retard sur les dynamiques de systèmes interconnectés : sur l’actualité, les nouveautés et les problèmes ouverts. Il met en avant les nouveaux angles d’attaque permettant de mieux comprendre le retard et comment il peut se transformer en atout. À tort, on a toujours envisagé le retard comme un élément déstabilisant et désynchronisant, qui détruit les propriétés qualitatives que l’on cherche à mettre en évidence ou à imposer aux systèmes via le contrôle. Or, depuis une dizaine d’années, mes recherches œuvrent à montrer combien celui-ci possède un intérêt lorsqu’il est rigoureusement pris en compte : on peut l’exploiter pour contrôler d’une façon robuste des processus. En effet, l’automatique et le contrôle, des disciplines qui ont émergé entre les deux guerres, ont pendant très longtemps – au moins jusqu’aux années 1990 – totalement occulté la prise en compte du retard. Or c’est un aspect très important, indissociable de l’étude des systèmes automatisés ! Prenons le cas d’un système asservi, contrôlé par un organe de décision : le temps mis, pour la réception de cette information par l’organe puis sa transmission, représente un délai. Ainsi, en automatique, le retard est par définition intrinsèque. Depuis une trentaine d’années, on s’y intéresse enfin, et la complexité de la problématique a été mise en évidence : la prise en compte du retard dans un modèle a pour effet de traduire les équations initialement algébriques en équations transcendantes, ce qui rend l’analyse et la conception ardus avec les outils classiques de l’automatique. Mais aujourd’hui, nous comprenons de mieux en mieux ces phénomènes physiques, biologiques ou d’autres natures.

L’équipe du projet P3δ

La prise en compte de cet élément, a priori peu pondérable, en fait paradoxalement un facteur de contrôle. Comme en témoigne le projet P3δ  (P 3 Delta), développé avec des étudiants de l’association Cyb’Air de l’IPSA et qui a donné naissance à un logiciel actuellement à l’étude au CNRS et à l’Inria.
Ce projet illustre le fait que le retard peut servir à mieux stabiliser les systèmes de contrôle des drones, des satellites ou d’autres appareils. Mais il va plus loin et constitue une philosophie : celle de prendre en compte, d’entrée de jeu, le fait qu’une commande est par définition retardée. Pour contrôler, il faut des feedbacks qui impliquent un temps de propagation de l’information ; celle-ci n’étant pas instantanée. Nous démontrons, que quel que soit le modèle contrôlable, en choisissant une commande retardée conçue via ce logiciel, on peut stabiliser ou synchroniser en un temps très court. Ces travaux ont débuté cette année dans le cadre des Projets d’initiation à la recherche et l’innovation (PIRI) de l’école, qui permettent d’initier les étudiants à la recherche. J’ai proposé ce travail de recherche à Julien Huynh (IPSA promo 2021) afin que l’on développe ensemble le logiciel. Puis d’autres élèves de l’association Cyb’Air, qu’il a fondée, nous ont rejoints. Le premier confinement, malgré l’isolement, nous a permis de développer en grande partie le programme et son interface. Nous avons beaucoup échangé pour mettre au point cet outil qui est actuellement étudié au CNRS et à l’Inria. Et nous sommes en train de voir avec quelle structure nous allons finaliser son dépôt pour qu’il soit le mieux exploité.

À travers ces recherches menées avec les étudiants que souhaitez-vous faire passer comme message ? 
P3δ s’inscrit dans la formation par la recherche.Dans mes travaux ou dans P3δ, j’ai toujours voulu impliquer les étudiants. Je veux leur montrer qu’ils sont tout à fait capables de se lancer dans la recherche et réaliser un projet d’envergure. Plusieurs étudiants de l’IPSA sont ainsi cosignataires de publications scientifiques dont certaines ont été présentées à l’International Conference on System Theory, Control and Computing (ICSTCC) 2020 (voir https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02897102v2 et https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02944531). Je souhaite désormais aller encore plus loin avec les nouveaux étudiants de 1re et 2e année qui nous ont rejoints récemment sur le projet P3δ.

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