Laura D’hont est enseignant-chercheur en management et ressources humaines à l’ISG Paris. Elle signe un article sur l’influence des relations affinitaires au travail. En s’appuyant sur des entretiens menés avec des cadres, elle montre que si ces liens génèrent du bien-être, ils peuvent être ambivalents, voire nuisibles à de bonnes conditions de travail.
Comment sont nées ces recherches ?
Il s’agit du prolongement de mon travail doctoral qui portait sur les relations affinitaires au travail. C’est un sujet assez peu étudié dans le management, notamment en France. À travers une vingtaine d’entretiens, je me suis plus particulièrement intéressée aux cadres, généralement très soumis au stress et aux interactions sociales. Les relations affinitaires qu’ils peuvent lier dans un contexte professionnel possèdent un véritable impact sur leur bien-être au travail. Cette influence est double, à la fois positive et négative et ces résultats remettent en cause certaines idées préconçues, très clivantes. J’avais envie d’avoir une vision plus intégratrice du sujet et de considérer ces liens de façon globale.
Quelles sont les différentes dynamiques que vous distinguez, à la fois positives et destructrices ?
Les résultats des entretiens m’ont conduit à identifier et préciser trois dynamiques affinitaires positives et cinq autres déterioratrices. Les émotions positives sont principalement apportées par les moments conviviaux de partage qui favorisent la sociabilité et la décompression face au rythme intense de travail. On le voit d’ailleurs bien dans le contexte actuel de crise sanitaire où ces moments conviviaux font défaut. Autre point intéressant : les confidences personnelles liées à ces relations sont à double tranchant. D’un côté, elles génèrent un soutien social et émotionnel des collègues. De l’autre, elles peuvent être source de déconvenue lorsque les confidences sont trahies et divulguées. Ces relations affinitaires reposant sur un choix, elles peuvent être excluantes : celui qui ne fait pas partie du groupe ou de la bande peut ainsi se sentir comme mis à part. J’ai également mis à jour des cas d’inimitié par transitivité : autrement dit, l’ami de mon ennemi devient, par association, mon ennemi. Dernier point : le conflit de rôles lié à la difficulté de trouver un équilibre entre l’ami et le professionnel. Parfois, cela peut générer des tensions et des conflits affectifs tant il peut être compliqué de se départir de toute subjectivité. Un désaccord professionnel pouvant ainsi devenir personnel. Dans les cas les plus extrêmes, on peut avoir affaire à des manipulations à travers les liens affectifs pour progresser professionnellement.
Des liens d’amitiés ne sont pas toujours garants d’une relation professionnelle de qualité, car la confusion existe.
Comment faut-il donc aborder ces relations ?
Il faut avoir une approche nuancée car les choses ne sont pas si tranchées, dans le positif ou le négatif. Des liens d’amitiés ne sont pas toujours garants d’une relation professionnelle de qualité, car la confusion existe. Il faut rester très attentif au couple objectivité / subjectivité et prendre du recul. Un dirigeant devrait chercher à développer un climat de confiance et de transparence. Ce qui peut être intéressant est de favoriser une réflexion éthique dans la structure pour prendre conscience des tensions et des différentes attentes. Dans ces relations affinitaires, il faut avoir conscience de leurs conséquences potentielles sur certaines pratiques en gestion des ressources humaines, notamment l’évaluation qui demande de l’objectivité et plus particulièrement dans les recrutements par cooptation. Au travail, il est important d’être conscient du rôle que l’on adopte, d’ami ou de collègue, car cela peut se recouper et pas toujours pour le meilleur.
- L’influence ambivalente des relations affinitaires sur le bien-être au travail : le cas des cadres, de Laura D’hont in Revue de Gestion des Ressources Humaines (n°116 – 2020)