« Il est, paraît-il, des terres brûlées donnant plus de blé qu’un meilleur avril », chantait Jacques Brel. Des paroles qui peuvent faire écho à ce que le monde vit actuellement avec l’épidémie de la Covid-19 car, si le coronavirus et ses variants ont fait (et font encore) de nombreuses victimes, la crise sanitaire a également permis aux laboratoires, industriels, chercheurs et scientifiques d’accomplir de grandes choses en un temps record. À l’occasion de sa web-conférence « L’épopée des vaccins anti-Covid » organisée le 30 mars 2021, Sup’Biotech a justement souhaité mettre en lumière ces succès qui laissent entrevoir des lendemains plus heureux… et peut-être de nouvelles promesses chez les acteurs de la pharmaceutique.
Dès le début de la conférence, Bruno Pitard, directeur de recherche au Centre de recherche en cancérologie et immunologie Nantes-Angers (CRCINA), tient à rappeler en quoi l’apparition du virus SARS-CoV-2 a permis la popularisation d’une nouvelle génération de vaccin : le vaccin ARN (pour acide ribonucléique), celui-là même utilisé par les laboratoires Pfizer-BioNTech et Moderna,. En effet, pour lutter contre un virus capable de produire de nombreuses protéines (et notamment la protéine Spike dite « S », présente à la surface du virus et interagissant avec les cellules de notre organisme) et permettre au système immunitaire de créer des anticorps afin de s’en protéger, le monde scientifique a longtemps privilégié les vaccins de première et deuxième générations. Les premiers contiennent un virus inactivé tandis que les autres associent une protéine S produite en usine dans des fermenteurs à un adjuvent (c’est le cas notamment des vaccins contre l’hépatite B).
Pour Bruno Pitard, également directeur de recherche au CNRS, le vaccin ARN représente une autre approche : « Plutôt que de produire la protéine S en usine, ici, on choisit de faire produire directement cet antigène par l’individu concerné. Toutefois, encore faut-il que ces molécules d’ARN soient capables de rentrer dans le tissu cellulaire. Pour cela, on va donc utiliser des adénovirus, autrement dit des virus domptés, pour remplacer les gènes que l’on ne souhaite pas par d’autres capables de fabriquer cette protéine S après que l’ADN de l’adénovirus soit allé jusqu’au noyau. » Pour autant, la technologie du vaccin ARN n’est pas « jeune » : si le grand public a pu en prendre réellement connaissance ces derniers mois, les premiers travaux la concernant remontent à près de 30 ans.
12 vaccins prêts, plus de 300 en développement
Autre prouesse liée à la pandémie : le délai très court entre l’apparition du virus et les premières vaccinations. Une « heureuse anomalie » qui n’a pas échappé à Claire Roger, VP, Direction des Opérations Vaccins du laboratoire GSK et ex-présidente du comité vaccin du Leem : « Il faut bien avoir en tête qu’énormément de projets ont démarré en janvier 2020 quand le génome du SARS-CoV-2 a été mis à disposition, que les premiers essais cliniques ont débuté en mars, que les premiers résultats de phase 3 ont été rendus en novembre et que les premiers programmes de vaccination ont débuté en décembre. Près d’un an après l’apparition du virus, on relève 12 vaccins mis à disposition à travers le monde : c’est déjà une belle avancée et un résultat incroyable. D’ordinaire, un vaccin normal nécessite 8 à 10 ans pour être développé et, d’habitude, on ne trouve qu’une poignée d’équipes scientifiques sur un tel sujet et non plusieurs centaines ! » Selon la professionnelle, rien n’aurait été possible sans un branle-bas de combat inédit de la part des acteurs pharmaceutiques. « Certains des plus gros laboratoires mondiaux se sont alliés sur ce sujet, ce qui n’arrive normalement jamais, poursuit-elle. 2020 fait clairement office d’année inédite dans l’industrie pharma, avec un nombre de candidats au vaccin et d’essais cliniques sans précédent par rapport à ce que l’on a pu connaître sur les 30 dernières années autour des maladies infectieuses. »
Cette unité rare a permis la multiplication des méthodes technologiques et l’établissement d’un grand nombre de partenariats pour trouver les solutions les plus fiables et plus rapides, notamment pour répondre aux problèmes de production. D’ailleurs, à ce jour, plus de 550 millions de doses ont été injectées. Et à en croire Claire Roger, cette parenthèse d’effervescence n’est pas encore prête à se refermer. « Il y a du nouveau chaque jour, affirme-t-elle. En mars 2021, 312 projets de vaccins sont encore en cours de développement, De notre côté, chez GSK, nous travaillons également sur un vaccin à ARN messager de 2e génération, en partenariat avec CureVac, pour lutter contre les nouveaux variants. Et nous ne nous concentrons pas uniquement là-dessus : nos équipes œuvrent aussi sur la recherche de traitement autour d’anticorps monoclonaux pour les personnes infectées présentant pas ou peu de symptômes afin justement d’éviter l’accumulation des formes graves. »
La question des malades déjà infectés est un sujet tout aussi important, mais ce n’est pas le seul autre angle lié à la gestion de cette crise, les industriels pensant déjà fortement à l’après et notamment au fort risque de résurgence des autres maladies. Cependant, et même si les partenariats entre mastodontes laisseront place au retour de la concurrence à ce moment-là (« ce qui est toujours positif pour stimuler et favoriser l’innovation »), le secteur pharma pourra cette fois compter sur l’émergence de nouveaux acteurs apparus lors de la pandémie, comme les startups de biotechnologies – les fameuses biotechs. « Ouvrir l’industrie du vaccin à d’autres acteurs, c’est une bonne chose pour répondre à plus de besoins sur la planète », note Claire Roger, enthousiaste.
Il faudra compter sur les startups
Respectivement basées à Grenoble et Toulouse, Aiova et FlashTherapeutics font justement partie de ces « nouvelles têtes » révélées sous le feu des projecteurs dans la lutte contre la Covid-19. Corinne Ronfort, cofondatrice et dirigeante d’Aiova, travaille ainsi avec de nombreux noms reconnus du secteur : « Nous concevons des vaccins de dernière génération. Notre technologie repose sur une plateforme de vaccins ADN avec une partie d’ADN fixe – c’est la base de la construction de nos prototypes – et une autre interchangeable dans laquelle on peut mettre des séquences d’antigènes. L’avantage de l’ADN est double car il permet d’incorporer des « cellules tueuses » pour attaquer le virus sur plusieurs fronts mais aussi d’intégrer un système permettant d’avoir une augmentation de la production d’antigènes dans un second temps pour gagner en efficacité et davantage stimuler le système immunitaire. Avec cette plateforme ADN, nous avons la possibilité d’aller vers des vaccins dits « multi-souches » qui attaquent les éléments communs chez les variants. » Lancée en 2019, Aiova assume ainsi sa volonté de se frotter frontalement aux pandémies mortelles récurrentes, à l’image du sida (38 millions de mort depuis son apparition), des grippes saisonnières (entre 300 000 650 000 décés chaque année) et, bien entendu, du SARS-CoV-2. « Entre le SARS en 2002, le MERS en 2012 et la crise actuelle, on se retrouve avec plus d’un million de morts en 20 ans suite à trois épidémies de coronavirus », souligne l’entrepreneure, consciente de l’urgence.
Cet objectif sied également à FlashTherapeutics. Créée en 2018, cette dernière utilise une méthode de bioproduction pour des vaccins ARN : la technologie brevetée LentiFlash. « Les vaccins ARN ont longtemps été considérés comme une stratégie futuriste, explique Pascale Bouillé, dirigeante de la start-up. Pour autant, l’enjeu de cette approche est double car il permet de travailler à la fois sur des technologies potentiellement universelles et sur les capacités de bioproduction à petit, grande et très grande échelles ! » Également en relation avec des acteurs majeurs du secteur pharma, FlashTherapeutics aspire à symboliser ce renouveau de la recherche vaccinale et espère que les rapprochements entamés avec la Covid-19 sont la promesse d’une nouvelle ère : « Il faut que les biotech arrivent à monter des partenariats de façon simple et scientifique ! » Un optimisme auquel il est tentant de succomber.
Mobilisation sans précédent et dignité humaine
De l’optimisme, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) n’en manque pas. Conscient des enjeux de la crise, cet organisme se réjouit des efforts collectifs entrepris par les uns et les autres dans cette course mondiale contre la montre. « Même au temps d’Ebola ou du H1N1, ce n’était pas la même chose : cette fois, tout le monde joue le jeu », annonce François Hirsch, directeur de recherche honoraire à l’INSERM, membre de son Comité d’éthique et membre de la Conférence nationale des Comité de protection des personnes (CPP). Pour le spécialiste, les faits sont là : nous assistons à une « mobilisation sans précédent » des chercheurs du secteur public et de l’industrie pour la recherche de vaccins, avec des financements publics colossaux et un partage (de données scientifiques comme d’échantillons biologiques) à l’échelle planétaire. Garant d’une recherche aussi performante qu’éthique, l’INSERM voit également d’un bon œil le fait que les chercheurs décident de « jouer la transparence en partageant leurs doutes et craintes » et que la recherche clinique parvient à mobiliser « des dizaines de milliers de volontaires dans de très nombreux pays ».
D’un point de vue légal aussi, des motifs de satisfaction existent. C’est en tous cas l’avis de Marion Abecassis, avocate spécialisée en sciences de la vie au sein du cabinet McDermott Will & Emery et invitée permanente du Comité d’éthique de l’INSERM. Ainsi, la pandémie de la Covid-19 a donné lieu à l’apparition d’un certain nombre d’avancées sur les aspects réglementaires. Un exemple est particulièrement parlant : celui de l’accès précoce au marché de vaccins fraîchement sortis des laboratoires. « Des autorisations de mise sur le marché (AMM) ont été délivrées sous le terme d’AMM conditionnelles, car on reconnaît que les données d’évaluation sont incomplètes même si elles répondent déjà favorablement au ratio bénéfice/risque », remarque l’avocate, également sensible à l’émergence de nouvelles discussions autour de sujets cruciaux. Il est très intéressant de voir actuellement se lancer des appels pour demander une levée ou une suspension des brevets afin de permettre d’augmenter la production de vaccins. Je pense notamment aux échanges menés au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), au nom de certains pays comme l’Inde ou le Brésil, qui souhaitent pouvoir aider à multiplier la production de doses. C’est l’occasion de rappeler cet enjeu mondial autour de l’accès équitable au vaccin par des pays à revenu faible et intermédiaire et de replacer la dignité humaine au centre des questionnements juridiques. » De ce fait, on ne peut qu’être d’accord avec Marion Abecassis quand elle conclue que, même si du chemin a été parcouru depuis les premières contaminations constatées à Wuhan en Chine, « il est un peu tôt pour parler d’épopée car cette histoire est encore en cours de construction ».