Alors que le ministère de la Santé vient d’annoncer une « mission d’élaboration de la stratégie nationale contre l’endométriose », cette pathalogie souffre encore d’une méconnaissance auprès des personnes touchées, mais aussi du corps médical. Afin de comprendre les impacts et les enjeux autour de cette maladie chronique, rencontre avec Clara Royet (Epitech Paris promo 2022), porteuse du projet Karel, une application pour accompagner au quotidien les femmes atteintes.
Qu’est-ce que l’endométriose ?
L’endométriose est une maladie chronique évolutive et parfois très handicapante. Elle se caractérise par la présence de tissus semblables à l’endomètre en dehors de la cavité utérine. Cela crée plein d’adhérences dans le corps très douloureuses et particulièrement réactives aux hormones, notamment en période de stress ou avant les règles par exemple.
Entre 2 et 4 millions de femmes sont atteintes en France, 180 millions dans le monde, ce qui représente un coût sociétal de 13 milliards d’euros (frais de santé, arrêts maladies…). Aujourd’hui, on a un retard de diagnostic de 8 ans entre les premiers symptômes et le diagnostic final. Pour ma part, cela fait 10 ans que j’en souffre et donc que la maladie se développe. Il faut savoir que le diagnostic par IRM n’est pas fiable, car l’endométriose se cache. Le seul diagnostic fiable nécessite une opération. Aujourd’hui, en France, on n’est pas à la pointe de la techno sur l’endométriose, beaucoup de médecins ne connaissent pas la maladie ou véhiculent des méconnaissances.
Aujourd’hui, l’endométriose ne se soigne pas.
Il n’y a pas de formation poussée ni de véritable écoute des femmes. Les mentalités commencent à changer, mais à mon époque, quand je souffrais, on me disait « c’est dans ta tête« . On m’a même dit que j’étais folle. À un moment, j’ai baissé les bras. Si je n’avais pas rencontré mon médecin, je serais dans un état bien pire. Aujourd’hui, l’endométriose ne se soigne pas. Le principal traitement est la pilule contraceptive, en faisant disparaitre les cycles hormonaux qui agissent sur les crises. J’ai actuellement un traitement avec un anti-épileptique qui joue sur les nerfs, sources des douleurs.
Comment est né le projet Karel ?
En 2e année à Epitech, je découvre que je suis atteinte d’endométriose. Au début, je pleure de joie, car ça signifiait que je n’étais pas folle. Puis je pleure de tristesse : il n’existe aucun accompagnement, rien autour de soi qui explique comment ça fonctionne ni les impacts. J’ai été opérée, mais sans plus d’infos.
Après un an de déprime et la crainte de devoir arrêter l’école, j’ai trouvé à Epitech Paris beaucoup d’adaptabilité. C’était un grand soulagement, car je n’étais plus toute seule, j’étais avec des gens qui me soutenaient. Malgré tout, j’étais obligée de vivre avec ma maladie, de mettre en place de petits ‘hacks’ dans ma vie pour m’en sortir dans le monde du travail, dans les transports en commun. Lorsque je travaillais en parallèle de mes études, je me donnais deux fois plus, ce qui me permettait de travailler parfois à domicile. Au fil du temps, j’ai réussi à mettre en place des trucs comme un suivi de mon alimentation, faire du sport, me rendant compte des impacts positifs ou négatifs sur ma maladie.
Une maladie très personnelle : chaque femme a sa propre forme d’endométriose.
Au moment des EIP, j’ai alors évoqué avec mon groupe : « j’ai une idée, j’ai telle maladie et je pense qu’il y a quelque chose à faire : de l’éducation thérapeutique, comment organiser ses journées pour dormir ou faire du sport… ». L’endométriose est une maladie très personnelle : chaque femme a sa propre forme d’endométriose. C’est comme ça qu’est né le projet « Karel », dans l’objectif de généraliser un schéma que j’avais appliqué pour moi, mais à destination d’autres femmes touchées.
Comment fonctionne l’appli ?
L’idée du projet Karel est de faire un suivi de tout ce qui est lié à l’endométriose : les douleurs, les traitements, les troubles digestifs, le sommeil. Dans un deuxième temps, l’idée sera de développer la récupération de données liées au suivi de l’activité physique, de la nutrition ou de la prise de poids. Ce travail se fait en co-construction avec des patientes. Par exemple, l’une d’elle nous a indiqué que ses rapports sexuels pouvaient avoir un impact sur la douleur ressentie. Nous réfléchissons à des fonctionnalités pour intégrer ce type de données.
Karel, c’est une application sur ton téléphone : quand tu as une crise, tu as un questionnaire à remplir, tu indiques à quel point tu as mal via une échelle expliquée de la douleur, la possibilité de dire où tu as mal, de pouvoir prévenir d’autres problèmes comme des douleurs au cœur. L’idée est de pouvoir compiler toutes ces données à destination à la fois des patientes, afin qu’elle comprenne « leur » endométriose, mais aussi de leurs médecins. Ces données pourront par la suite être analysées par une IA, qui aura pour but de prévenir l’utilisatrice de potentielles crises.
On souhaite aussi les partager avec les scientifiques, mais pas sur un modèle comme d’autres applis existantes liées aux laboratoires et à des études sans le consentement des patientes.
Comment s’écrit la suite du projet ?
Avec Tony Zhou, Justine Yang, Emmanuel Chiu, Benoît Palignac et Lina Kaci, nous avons fini 2es aux EIP Tek3 Europe et 1ers à Paris. Mais après les EIP, je voulais en faire un projet de vie, même en dehors d’Epitech, je voulais aller vers l’entreprenariat. J’ai donc pris conseil auprès de différentes personnes. Dans mon groupe, tout le monde n’est pas prêt à sauter le pas, je leur ai donc proposé de faire un doublon : je travaille donc de mon côté sur le lancement d’un projet entrepreneurial, accompagnée par la société Pheal, constituée d’anciens Epitech, qui m’ont donné beaucoup de conseil, dont celui de postuler à la bourse Ulule / Blablacar.
J’ai postulé sans trop y croire, il y avait beaucoup de candidatures, on était très jeunes. À ma grande surprise, j’ai reçu un mail me disant que j’étais prise dans les 15 projets, sur 2 000 candidatures. La formation a commencé depuis 2 semaines et on repart de zéro, avec le même objectif. Je refais toute l’idéation, de façon plus propre en parlant de qui je suis, qui sont les concurrents, l’écosystème autour du projet, avec un coaching toutes les 2 semaines par Ulule, et des échanges avec les autres lauréats via Slack. Ce « Karel bis » n’a pas encore de nom. »
L’idée à terme est que les deux « projets Karel » se rejoignent pour n’en faire plus qu’un. J’ai parlé avec plusieurs startups dont Pheal qui a accepté de me porter pendant mon stage de 4 mois pour le développement mon projet. Mon objectif : lancer un bêta-test à la fin de mon stage. D’ici 3 ans, je veux réunir Karel en une seule entité et la diffuser auprès des femmes, être utile à toutes les femmes. Et d’ici 5 ans, me lancer a l’international.
Que t’as apporté Epitech ?
Baucoup, dans la capacité à faire tout et n’importe quoi. Une roadmap de l’écosystème : pas de soucis. Monter une vidéo : je le fais. Si je n’avais pas été à Epitech, j’aurais été moins dans le test & learn. Développer un projet sous toutes les coutures, s’entourer des bonnes personnes et toucher à tout, c’est ce qui va m’aider le plus.