Chaque année, la Semaine Recherche & Innovation permet aux 2es années de l’EPITA de faire le point sur les principaux enjeux d’avenir qui façonnent l’informatique et le numérique, à travers des ateliers et des conférences. L’édition 2021, qui avait lieu du 13 au 17 septembre, était parrainée par Claire Calmejane (EPITA promo 2005 – invitée de l’un de nos Grands Entretiens), directrice de l’Innovation du groupe Société Générale, présente pour rappeler aux futurs professionnels les profonds impacts sociaux et environnementaux de l’innovation.
Pour lancer sa Semaine Recherche & Innovation 2021, l’EPITA avait confié le micro de sa conférence plénière à Claire Calmejane (promo 2005), directrice de l’Innovation du groupe Société Générale. L’occasion pour cette invitée prestigieuse d’aborder sa propre définition de l’innovation avec les étudiants présents.
Pour Claire Calmejane, l’innovation n’est pas unique : « Elle est protéiforme ». Cela signifie qu’elle peut – et doit – aussi bien s’adresser à l’entreprise qu’au consommateur, en étant à l’origine de la transformation des métiers existants (des dirigeants aux employés) comme une réponse pour améliorer toujours plus l’expérience client. Mais à en croire la principale intéressée, cette approche de l’innovation liée à l’informatique, aujourd’hui omniprésente à tous les niveaux, n’a pas toujours était d’actualité. « Après l’EPITA, j’ai commencé dans le conseil, se souvient-elle. Puis j’ai voulu me spécialiser dans le milieu des services financiers, à une époque où les entreprises n’investissaient pas encore énormément dans le milieu de l’informatique et du digital. Par exemple, à mon entrée chez Air France KLM, avoir son boarding pass sur mobile n’était pas encore envisageable : on n’y croyait pas ! C’est devenu une réalité désormais. » Loin d’être anodine, cette anecdote démontre deux barrières qui se dressent traditionnellement face à la transformation : l’habitude des usages existants et l’absence d’anticipation face au changement. Et pour lever ces barrières, l’innovation doit pouvoir embrasser quatre grands principes afin de fédérer autour d’elle. Ces mêmes principes sont ceux qui amènent le secteur bancaire à se repenser en permanence pour façonner le futur des services financiers.
Des avancées pas uniquement technologiques
Le premier principe consiste à rappeler l’impact sociétal et environnemental de l’innovation. Le but ? Associer éthique et nouvelles technologies pour faire coïncider ses valeurs avec ces nouveaux outils. Un bon exemple, c’est le mouvement Tech for Good : conscientes de leur importance et des défis actuels, de la montée des nationalismes à l’urgence climatique rappelée par le dernier rapport du GIEC, les grandes entreprises changent avec cette volonté d’agir. « Elles n’ont pas qu’un objectif de rentabilité : elles sont maintenant aussi sur un mouvement d’impact. Dans notre groupe, nous transformons en ce sens nos infrastructures et la manière dont nous interagissons, tout en rappelant que la finance est incontournable pour justement financer l’économie réelle, comme les projets durables, les parcs d’éolienne, etc. Il ne faut pas non plus oublier qu’aujourd’hui la question du “but” est devenue majeure : on se pose de plus en plus la question “pourquoi je vais au travail”. L’innovation doit aussi être responsable ! » Chez Société Générale, cet engagement passe notamment par « plusieurs milliards déployés sur les énergies renouvelables » et l’engagement à « arrêter le financement du charbon d’ici 2030 pour les entreprises au sein de l’UE et de l’OCDE, 2040 dans le reste du monde ».
Ne pas avoir peur de la nouveauté
Le deuxième principe de l’innovation repose logiquement sur la disruption technologique et son acceptation. « Un bon exemple est l’arrivée de l’intelligence artificielle dans la banque, qui consomme énormément de data et change drastiquement la façon dont opèrent nos métiers ! » Compréhension des mouvements financiers en temps réel, lutte contre les fraudes, prédiction… l’intelligence artificielle présente de nombreux atouts, mais nécessite pour les professionnels concernés de redéfinir leurs processus. Et cela passe d’abord par « un changement de culture des dirigeants ».
Favoriser l’agilité
Le troisième principe découle de ce changement de culture puisque l’innovation ne peut se développer que dans un environnement prêt à évoluer. Ainsi, pour innover, il ne suffit pas de dépenser de grandes sommes en R&D : il faut aussi vouloir revoir le mode d’organisation de « la vie d’entreprise », encore trop « hiérarchique et segmentée en France », même si « c’est loin d’être simple ! » Ainsi, une entreprise qui n’accepte pas de tendre vers cette nouvelle donne prend également un autre risque : celui de ne pas être en mesure de séduire et d’attirer les profils et talents justement à même de porter l’innovation. « Si on ne vous propose pas ça en France, vous irez à l’étranger ! » Cette vocation à se transformer est aussi fortement liée à la question de la diversité : « Aux États-Unis, les compagnies les plus performantes sont les plus diverses ! Le digital, c’est aussi une façon de faire rentrer des gens différents. »
Ne pas négliger l’émergence de nouveaux acteurs
Enfin le quatrième principe est le fait d’aller chercher l’innovation là où elle se trouve majoritairement aujourd’hui : chez les startups ! Les entreprises peuvent alors s’inspirer de l’agilité des jeunes pousses de la tech – en arrivant sur le marché avec un prototype, pour itérer et suivre le retour des clients, sans avoir à attendre d’avoir le produit parfait – ou, tout simplement, en s’associant à ces nouveaux acteurs, via des partenariats, des fonds d’investissement spécifiques ou des acquisitions. C’est ce qu’a fait notamment le groupe Société Générale avec Shine et Lumo, deux FinTech particulièrement prometteuses. La première se présente comme « une néo banque pour les freelances entrepreneurs permettant à ces derniers de faciliter leur arrivée sur le marché » tandis que la seconde est une « plateforme de crowdfunding dédiée au développement durable ». Et le fonds de Société Générale dédiés aux startups n’a pas forcément d’objectif de rentabilité selon l’ingénieure : « C’est un investissement stratégique car ces startups vont permettre de diversifier le business model à long terme ! »
Claire Calmejane : « Répondre aux nouveaux enjeux de nos clients »
En plus de votre vision de l’innovation, l’autre objet de la conférence portait sur ce à quoi pourrait ressembler la banque en 2050. Mais, finalement, est-ce que la banque existera toujours à ce moment-là ?
Claire Calmejane : Très bonne question ! Parmi les nombreux modèles économiques sur lesquels nous travaillons se trouve notamment ce qu’on appelle « la finance intégrée ». En effet, l’une de nos thèses en innovation est qu’au fur et à mesure que les autres industries vont se digitaliser, elles vont vouloir utiliser des composantes de la banque sans devenir des banques pour autant. Prenons le cas, par exemple, d’un hôtel à l’étranger : si vous sortez de l’avion après 10 heures de vol et que vous devez prendre ensuite un taxi, vous n’avez pas forcément ensuite envie de faire la queue une demi-heure à l’hôtel pour vous identifier et indiquer votre moyen de paiement. Et bien, l’une de nos startups, Treezor, propose justement une solution adaptée et digitalisée à ce problème. C’est de la finance intégrée et de la banque ouverte ! Et cette approche existe chez nous depuis des années. Un bon exemple, ce sont les propositions de financement faites par notre filiale CGI directement chez le concessionnaire quand vous souhaitez acquérir une nouvelle voiture. Cela fait aussi partie de la banque ! Notre objectif est de pouvoir répondre aux nouveaux enjeux de nos clients, des particuliers comme des entreprises.
Est-ce que les startups FinTech vous permettent à vous, un grand groupe, de vous challenger ? De vous dire « ah, ça, nous n’y avions pas encore pensé » ?
Tout à fait. Et aujourd’hui, les fondateurs des startups que nous avons acquises – Shine, Treezor, Lumo, Fiduceo, Reezocar et bien d’autres – ont énormément de visibilité et d’interaction avec les membres de notre direction. Ils sont même très souvent supervisés par le comité de direction et mis en valeur auprès des métiers pour justement favoriser cette transformation culturelle en marche !
Enfin, on parle beaucoup de FinTech en citant souvent Londres comme une place forte. Est-ce qu’un autre pays se détache également aujourd’hui ?
La Chine est, historiquement, très forte sur le sujet : les plus gros FinTech mondiales sont clairement là-bas aujourd’hui, comme WeChat ou Lufax. Toutefois, l’Europe n’est pas en reste, mais elle ne doit pas se focaliser sur des compétitions entre FinTech allemandes, anglaises ou françaises : il faut surtout pouvoir faire en sorte de les faire collaborer. C’est pour cela que Société Générale est présent dans ces différents écosystèmes. Ce qui est important pour nous, c’est de pouvoir créer des géants européens de la FinTech. C’est ainsi que Treezor, une start-up française, a pu depuis s’implanter dans quatre autres pays européens avec le support de notre groupe.