Dans le paysage médiatique, le nom de Cyrielle Hariel est désormais indissociable du développement durable et de la consommation responsable. À travers ses émissions sur BFM Business, ses interventions et ses écrits, cette « journaliste d’impact » cherche à mettre en avant ceux qui veulent construire une société durable et plus humaine. Alors que beaucoup opposent durabilité et économie, elle y voit au contraire l’opportunité de réconcilier les consommateurs avec les entreprises. Et pour ces dernières de ne pas avoir honte de gagner de l’argent tout en satisfaisant les attentes de citoyens de plus en plus exigeants – à raison. À condition, bien sûr, d’éviter le piège du greenwashing…
En parcourant votre livre Nos raisons d’être (Éditions Anne Carrière, 2021), on voit qu’un mouvement global, transcendant les secteurs, les individus et les fonctions, est en train de se mettre en place pour construire « une société durable et plus humaine ». Comment se met en place ce nouveau modèle de société ?
Au fond, le message porté par Greta Thunberg, qui a inspiré des milliers de jeunes à travers le monde, ne fait que relater ce que le GIEC dit depuis 1988 – c’est à dire quasiment mon âge, 33 ans ! C’est aussi ce que disait Jacques Chirac en 2022, lors du Sommet de la Terre, lorsqu’il expliquait que la planète brûlait et qu’on regardait ailleurs, ou encore Ban Ki-moon et Laurent Fabius lors de la COP21, disant qu’il n’y avait pas de planète B. Si ce message était depuis longtemps porté par les scientifiques, les climatologues ou les écologistes, tous en alerte, c’est maintenant aussi le cas de la société civile qui a le pouvoir d’être des consomm’acteurs. Celle-ci s’informe de plus en plus, via les médias et les réseaux sociaux qui jouent un rôle prépondérant dans le changement des comportements, en particulier chez les jeunes qui n’hésitent pas à s’engager, comme à travers le manifeste pour un réveil écologique au sein des entreprises, signé par plus de 30 000 étudiants, de jeunes diplômés et d’organisations universitaires. Tous les dirigeants d’entreprises que je rencontre me disent aussi vouloir agir : ils s’engagent, tentent d’obtenir la certification mondiale exigeant B Corp et de devenir des sociétés à mission ou d’inscrire leur raison d’être dans leurs statuts. Aujourd’hui, s’engager, c’est répondre aux attentes de consommateurs de plus en plus en quête de transparence dans leurs achats. Combien de familles expliquent que leurs enfants sont plus engagés que les parents eux-mêmes ? Les enfantsinspirent leurs parents ! Si les entreprises veulent faire du profit, elles doivent séduire le consommateur. Or, ce dernier est plus engagé et en quête de transparence et d’achat plus responsable. Il privilégie le circuit court, c’est ainsi que la clean beauty émerge et que les applications comme Yuka ou encore Clean Beauty séduisent les consomm’acteurs. Et c’est comme cela que naissent de nouvelles marques vertueuses dès le départ, elles font déjà du sourcing responsable, elles utilisent déjà des matières recyclées etc.
Les politiques ne pourront pas agir sans les engagements de grandes entreprises
Si vous expliquez que l’engagement dans un parti politique ou un syndicat relève « du monde d’avant » et que désormais l’engagement est protéiforme, vous montrez que ce sont désormais les entreprises qui s’engagent. Pourquoi ?
On peut toujours s’engager dans un parti politique, mais l’engagement sera différent, car les modes d’engagement ont évolué. Et en effet, le rôle que sont en train de prendre les entreprises est politique. C’est ce que dit Olivia Grégoire, la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable. Au fond, les dirigeants d’entreprises endossent un rôle que l’État n’a pas forcément pris, en termes d’engagements. Elles sont complémentaires des engagements politiques. Et ce qui est certain, c’est que les politiques ne pourront pas agir sans les engagements de grandes entreprises. Et ces dernières, peuvent faire du business autrement en répondant aux nouvelles exigences des consommateurs et en s’alignant sur les enjeux de notre société, comme le climat, ceux liés à la souveraineté nationale, etc. Les Français sont prêts à soutenir une rémunération plus juste des producteurs et privilégier les circuits courts. On le voit bien avec une marque comme C’est qui le patron ?, partie de rien il y a quatre ans, sans communication : elle touche désormais plus de deux millions de consommateurs, en partant du principe qu’elle devait mieux rémunérer ses producteurs. Aujourd’hui, l’entreprise a un rôle politique.
On entend parler de « raison d’être », de « changement de paradigme », de « responsabilité »… Comment qualifierez-vous ce mouvement ?
Le mot le plus juste serait « impact » ou sustainable (durable), en anglais. On parle d’ailleurs de « fonds à impact » ou d’« actionnaires à impact » avec le cas notamment de Danone avec l’éviction d’Emmanuel Faber…. – une manière de signifier que l’ennemi est le court-termisme.
Finalement, la crise sanitaire a fait basculer le monde vers cette quête de sens et de durabilité.
Oui, elle a fait changer ceux qui n’avaient pas encore pris conscience de cette bascule. Elle a fait s’interroger sur l’utilité de nos métiers et surtout leur rythme effréné, en particulier chez les citadins. On veut tous désormais prendre du temps pour soi, pour les siens et sa famille. La crise a accéléré cette quête de bien-être et de sens, aussi bien chez soi qu’au travail. Cela impacte le management. De plus en plus de personnes ont besoin de se reconnecter à soi-même et à la nature.
Il faut laisser un peu de temps, mais si l’on s’aperçoit que certaines entreprises n’auront pas respecté ces missions, elles perdront beaucoup en réputation.
Les marques affichent de plus en plus leur engagement, mais n’est-ce pas au fond une forme de greenwashing ?
Seul le temps le dira. La loi Pacte n’a été promulguée qu’en mai 2019. Elle est en train de faire son œuvre. Actuellement, il y a un peu moins de 200 sociétés à mission parmi lesquelles on compte le Groupe Rocher, Danone, la Camif, Aigle… ! Donc, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir… et seule une dizaine sont à la fois sociétés à mission et labellisées B Corp. Sortant d’une crise planétaire, il faut laisser le temps à l’économie de se régénérer et prendre un peu de recul.
Justement, qu’est-ce que change la loi Pacte ?
Elle opère à plusieurs niveaux. Le premier, pour toutes les entreprises, elle permet de prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Le deuxième, c’est l’option d’inscrire la raison d’être de son entreprise dans les statuts. Il existe d’ailleurs une profonde différence entre les entreprises qui l’affichent sur leur site et celles qui l’inscrivent – et je vous invite, jeunes diplômés qui allez y postuler à ne pas hésiter à leur poser la question. Le troisième enfin concerne celles qui vont encore plus loin en devenant des sociétés à mission. Cela nécessite la mise en place d’un comité de suivi autonome, composé avec toutes les parties prenantes (actionnaires, collaborateurs, fournisseurs, clients…), qui va être là pour mettre en place le changement en interne. L’État de son côté instaure un audit externe via un organisme tiers indépendant (OTI) qui viendra auditer ces sociétés à mission et ce qu’elles ont accompli. Tout cela se mettant en place, il faut laisser un peu de temps, mais si l’on s’aperçoit que certaines entreprises n’auront pas respecté ces missions, elles perdront beaucoup en réputation.
Au-delà de la consommation, agir sur la réputation serait-elle le meilleur moyen pour les citoyens d’agir ?
Bien sûr ! C’est pourquoi les sites comme change.org font bouger les lignes en fédérant parfois des millions de citoyens à travers le monde pour défendre une cause ! Donc les entreprises n’ont bien évidemment pas intérêts à mentir sur leurs engagements de peur qu’on leur reproche de faire du greenwashing, par les citoyens, mes consœurs et confrères. Il faut agir, puis communiquer et non l’inverse, mais c’est comme tout dans la vie.
Ces nouveaux enjeux sont des opportunités à saisir.
Si certaines entreprises entament un virage de façon sincère, d’autres affichent de bonnes volontés mais ne se limitent qu’à l’affichage. Comment être sûr de cette sincérité ?
C’est aux journalistes et aux consommateurs de s’en assurer, mais aussi de challenger ces entreprises sur les réseaux sociaux. Et de ne pas hésiter à s’adresser à leurs fondateurs dont beaucoup se mettent en avant. On peut ainsi leur demander comment sont évalués et certifiés certains de leurs engagements. En tant que journalistes, nous devons vérifier, mais cela prend du temps et demande beaucoup de moyens.
Parmi les secteurs que vous observez régulièrement, quels sont ceux qui ont le plus « basculé » ?
La mode et les cosmétiques évoluent très rapidement. Dans la cosmétique, on parle beaucoup de formule courte, de biodégradabilité, de naturalité et du zéro déchet… Et dans la mode, le sujet de la seconde main devient important, à l’image de Kering qui a participé à la dernière levée de fonds de Vestiaire Collective de 178 millions d’euros. Il y a aussi l’ajout de matières recyclées qui s’invite de plus en plus dans les collections des marques, etc. Même s’il y a toujours des questions que l’on peut se poser quant aux vraies intentions, on voit bien qu’il n’existe pas de solution miracle et que les choses avancent. Dans tous les cas, ces nouveaux enjeux sont des opportunités à saisir !
Les entreprises qui refusent de faire évoluer leurs pratiques vivent-elles leurs dernières heures ?
La réponse est dans la question… Les entreprises qui ne s’engagent pas sont des entreprises qui ne se projettent pas. Ce qui est sûr, c’est que les jeunes générations veulent du sens et des actions concrètes en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique, mais aussi des engagements pour toutes les parties prenantes de l’entreprise.
Dans une économie libérale, est-ce possible de transformer les entreprises ?
Ce sont elles qui se transforment d’elles-mêmes et transforment le libéralisme. Quand Danone devient la première société à mission du CAC 40, quand l’entreprise familiale Rocher adopte également ce statut quelques mois après la promulgation de la Loi Pacte, cela donne l’impression qu’elles sont en train de disrupter l’économie libérale. Mais ce qu’on oublie souvent, c’est que les entreprises vivent grâce aux clients. Et les clients, c’est vous ! Le consommateur est donc militant à travers le choix de ses achats (responsables).
Arrêtons de nous critiquer et de juger ce que font les autres ! Revenons à nous-mêmes en nous demandant ce qu’on peut faire à notre échelle.
Comment concilier à la fois le progrès et le changement, voire le renoncement à certaines pratiques ?
C’est une question complexe qui concerne avant tout son changement individuel. Il faut être en alerte sur ce qui se passe et arrêter de se juger les uns les autres. Est-ce que ceux qui reprochent à certains de prendre l’avion ont freiné leur consommation de bœuf nourri avec du soja issue la déforestation ou de vêtements fabriqués en Asie ? Arrêtons de nous critiquer et de juger ce que font les autres ! Revenons à nous-mêmes en nous demandant ce qu’on peut faire à notre échelle. Il faut qu’on pousse le curseur un peu chaque année. Personnellement, c’est sur l’alimentaire et les vêtements. Je suis végétarienne, mais en même temps j’ai une profonde quête d’ailleurs. Je n’ai pas pris l’avion depuis 18 mois, mais sans doute en aurais-je envie cet été. On est toujours critiquables sur tout… Le changement, ce sont des réflexions internes. Et notre rôle, en tant que médias, est de montrer que des alternatives existent.
Quelle rencontre vous a le plus marquée ?
Bertrand Piccard, car il est inspirant. Il ne juge pas et montre la voie des solutions. C’est un homme étonnant qui a vécu 1 000 vies. Mais surtout, il sait parler aux acteurs économiques et politiques. Il peut ainsi leur proposer des solutions intelligentes, durables, qui peuvent aussi leur permettre de faire du profit. Comme Mike Horn, ce sont des personnalités inspirantes, qui au-delà de l’aventure font passer des messages forts.
Alors que vous avez interrogé de nombreuses personnalités et de chefs d’entreprises sur leur raison d’être, quelle est la vôtre ?
Être utile ! J’ai besoin de mettre du sens dans ce que je fais. Si, aujourd’hui, je suis journaliste d’impact, ce ne sera peut-être plus le cas dans 10 ans. J’ai toujours envie d’évoluer et peut-être qu’un jour je ferai une rencontre qui changera tout. J’ai besoin de me sentir utile quand je me lève le matin. C’est pourquoi je tends mon micro à tous ceux qui ont une solution et des projets qui font du bien au monde.
Qu’avez-vous envie de dire à nos étudiants ? Et leurs parents ?
D’oser parler de ses projets, d’oser entreprendre, oser demander des conseils et pousser des portes pour apporter des solutions, une vision ou même sa candidature ! « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », pour ne citer que Mark Twain…